Articles récents \ France \ Société Le sexisme au collège : « je pense que le combat est chaque jour à mener en tant qu’enseignant »
Philippe, 59 ans, enseigne depuis 1975. Il commence sa carrière comme instituteur remplaçant, spécialisé en classe de sixième, cinquième de transition, quatrième pré-professionnelle de niveau et troisième de pré-apprentissage. Ce cycle de quatre ans au collège répertoriait les élèves en grande difficulté, en rupture avec la scolarité classique et souvent en rupture sociale, de milieux en difficulté sociale et précaire. Depuis 1980, il est professeur de mathématiques dans un collège de l’Eure. Il nous parle de sexisme au collège et de l’importance de l’éducation à l’égalité qui repose sur les épaules des professeurs.
Pouvez-vous décrire les comportements de vos élèves au début de votre carrière ?
Quand j’ai commencé, j’ai côtoyé des élèves aux comportements souvent difficiles. Les garçons étaient, la plupart du temps, orientés vers les métiers dits masculins, bâtiment et métiers de la bouche et les filles vers les métiers dits féminins, vente, coiffure. Les comportements des garçons envers les filles étaient très traditionnels ce qui implique un comportement souvent « machiste » voire quelquefois violents. Les réflexions sexistes étaient courantes, les comportements aussi.
J’ai donc eu à régler de façon quotidienne au mieux des gestes déplacés, souvent des agressions et actes violents. Il n’est pas pour moi le fait de ces enfants difficiles mais étant rejetés par les autres élèves cela rendait leurs rapports entre eux et entre garçons et filles forcément plus difficiles. Aujourd’hui, j’enseigne les mathématiques à temps plein depuis 24 ans. Je suis donc en rapport avec tou-te-s les élèves du collège puisque le type de classe ou j’enseignais a disparu.
Avez-vous remarqué une évolution au fil des années du rapport entre les garçons et les filles au collège ?
Oui bien sur les rapports ont changé, car les filles ne se laissent plus faire comme avant et je pense que les garçons ont changé aussi. Les filles ont aujourd’hui beaucoup plus de répondant, sont plus matures que les garçons, elles sont d’une manière générale plus conscientes de leur implication dans les études. Elles ont toutes envie d’un vrai avenir professionnel et ne se projettent pas comme femme au foyer !!! Mais on entend encore de la part des garçons « la vaisselle et le ménage c’est pour les filles » ! L’exemple à la maison est bien sûr ce qui détermine ces comportements. Mais ça évolue quand même. On côtoie des pères évolués sur ce plan, des familles harmonieuses sur le point de l’égalité femme/homme.
A quelles « violences » les collégiennes peuvent-elles être confrontées ?
Les filles se transformant, leur corps, leurs comportements, amène forcément de la part des garçons des comportements quelquefois « hormonaux » … Dans mon collège, il est demandé aux filles une tenue vestimentaire « sobre » quand nous jugeons que la tenue peut amener des réactions déplacées. Mais qu’on se rassure, nous ne leur demandons pas le col roulé en plein été et la jupe longue,collant en laine l’hiver ! Juste du bon sens de la part des un-e-s et des autres.
Chaque année, nous devons quand même faire face à des violences ou des humilations envers les filles.
Un de nos élèves de quatrième, l’an passé lors du départ d’une de ses camarades en troisième prépa.pro, faisait circuler un mot dans la classe : « si A… part, qui c’est qui va nous sucer maintenant, on n’aura plus de trou à boucher »… Une autre élève dans les toilettes du troisième étage pratiquait des fellations moyennant la promesse d’une récompense de trois euros… Une autre élève qui avait une forte poitrine était régulièrement traitée de « vache à lait » . Un élève de troisième, il y a environ six ans, obligeait les filles, du moins certaines, à pratiquer attouchements et fellations. Une ancienne élève du collège me disait qu’on entendait régulièrement les garçons dire : « tu veux sucer ma b…, tu veux ma queue ? » Elle disait que ce n’était pas dit méchamment, que c’était dit de façon banale. C’est le lot de toutes les élèves du collège. C’est sûrement cela qui me choque le plus : le fait que tout cela n’a justement pas l’air de choquer les élèves et qu’ils considèrent ces attitudes comme anodines.
Et les garçons ?
La vision de certains garçons de la sexualité est parfois pervertie par l’accès aux sites dits sensibles, sur internet. Certains ne s’étonnent de rien, attendent des filles des pratiques sexuelles ayant peu de rapport avec un âge où en principe, on découvre sa sexualité. Des cas sont signalés chaque année et ressentis ou avoués lors des séances d’éducation à la sexualité des élèves de troisième. Les filles sont vues chez quelques garçons comme des objets sexuels.
Pouvez-vous parler de la cyberviolence ? Qu’observez-vous ? Avez-vous des exemples ?
En ce qui concerne la cyber violence, les exemples sont nombreux. La conseillère principale d’éducation, la direction du collège, l’infirmière scolaire ont souvent, au lendemains des week-end à régler ce type de problème. Quelques jeunes collégiennes sont souvent l’objet d’insultes sexistes et étonnement quelques unes s’exposent sur le net en tenue disons, peu vêtue. Si, si c’est arrivé. Les parents sont convoqués évidemment dans les cas les plus graves, toujours prévenus dans les autres cas.
Que pensez-vous du « féminisme » ? Est ce encore un combat d’actualité selon vous ?
Plus que jamais ! Je pense que le combat est chaque jour à mener en tant qu’enseignant et donc éducateur.
Au quotidien, en tant que professeur principal pendant les heures de vie de classe mais aussi quelquefois pendant les heures de cours lors d’altercations ou de réflexions d’élèves envers un ou une camarade, j’essaie de les sensibiliser à cette cause.
En quoi les sensibiliser à cette cause dès le collège est important ?
La réponse est dans la question ! Même s’il est un peu tard, le comportement d’un-e enfant évolue, particulièrement à l’âge de l’adolescence. Et il est primordial de les sensibiliser à cette lutte pour l’égalité. Nous ne sommes pas, nous les enseignant-e-s, la famille des élèves. L’éducation reçue à la maison est primordiale. Et il est quelquefois délicat de relever ce que l’on entend. Les familles se déplacent au collège plus volontiers qu’avant, mais pas toujours de façon judicieuse. Notamment quand nous avons dû prendre des sanctions sur les actes ou comportements sexistes.
D’une manière générale, les rapports ont changé entre les garçons et les filles depuis mes débuts. Je peux dire que l’égalité est en marche. Les quelques cas lourds cités sont tout de même rares mais il est à noter que j’enseigne dans un collège de campagne ou les catégories socioprofessionnelles sont plutôt de classe moyenne ce qui sous entend un certain niveau de culture. La population scolaire est assez homogène et peu d’enfants sont issus de l’immigration. La réalité est sans aucun doute différente dans les collèges urbains de zone dite sensible où le poids des différences (ethnique, religieuse, culturelle …) influence forcément les comportements filles/garçons.
Propos recueillis par Louise Pinton 50-50 magazine