Articles récents \ France \ Société La prostitution étudiante : un tabou encore très fort aujourd’hui.
Il n’existe pas de chiffres précis sur la prostitution étudiante. On sait juste qu’elle a plusieurs formes : annonces par internet, échanges de services sexuels contre un logement … Peu d’enquêtes ont été menées sur la prostitution dans le monde étudiant; sur les quatre-vingt trois universités publiques françaises, seules quatre d’entre elles ont enquêté sur le phénomène.
A la fin de l’année 2006, un tract alarmiste du syndicat Sud-étudiant déclenche un début de prise de conscience. Puis l’ouvrage de la sociologue Eva Clouet, La prostitution étudiante à l’heure des nouvelles technologies de communication paru en 2008 et la même année le témoignage d’une étudiante, Laura D, intitulé Mes Chères études suscite l’intérêt, pas toujours éclairé, des médias.
Et puis en 2012, c’est la sortie du film Elles dans lequel Juliette Binoche joue le rôle d’une journaliste enquêtant sur la prostitution étudiante, sans parler du film Jeunes et Jolies dont le réalisateur explique doctement que «beaucoup de femmes fantasment de se prostituer.»
Quelques rares données
Les enquêtes menées par des universités à Montpellier, à Rennes et en Essonne ont toutes montré que la prostitution étudiante est bien une réalité. Le phénomène serait essentiellement dû à une raison économique : financer ses études.
Montpellier
L’Amicale du Nid travaille en collaboration avec l’Université Paul Valéry de Montpellier depuis 2006. En 2009-2010, 663 étudiant-e-s de licence avaient répondu à un questionnaire. En 2010-2011, ce sont 1048 étudiant-e-s de licence et master qui ont répondu au questionnaire.
Puis, en 2011- 2012, le nombre des répondant-e-s s’élève à 1797 étudiants, 1361 femmes et 436 hommes.
Résultats pour 2011-2012 :
2 % des jeunes femmes avaient répondu avoir eu recours à un service sexuel contre de l’argent au moins une fois, ce qui représente 1200 personnes sur 60.000 étudiant-e-s.
15 % des étudiant-e-s interrogé-e-s disaient être prêt-e-s à accepter un acte sexuel en échange de cadeaux ou d’argent pour sortir de leur situation précaire.
Rennes
L’université de Rennes 2 a lancé une enquête par questionnaire en 2011, et a obtenu 1500 réponses.
Résultats:
133 personnes sur 1 500 ont admis avoir déjà pensé à la prostitution pour financer leurs études, 73 connaissaient des étudiant-e-s y ayant recours et 23 se sont déjà prostituées.
Essonne
En Essonne auprès des étudiant-e-s d’Évry et de Paris Sud 11, une enquête s’est déroulée du 3 mai au 19 juin 2013, à l’occasion de la préparation du projet de loi abolitionniste initié par la députée du département Maud Olivier, autour de la prévention et de la lutte contre le système prostitueur, visant à dresser un état des lieux des pratiques prostitutionnelles puis à en dégager des pistes d’action.
Sur un total de 34 334 inscrit-e-s, 1039 personnes ont répondu à l’enquête soit 3% de la population étudiante en Essonne.
Résultats:
2,7% soit 23 personnes dont 13 femmes et 10 hommes, déclarent avoir échangé un acte sexuel en contrepartie d’argent, de biens ou de services.
La quasi-totalité de ces personnes rencontrent des difficultés financières (21 personnes sur 23), le plus souvent chroniques.
5,4%, soit 46 personnes déclarent avoir déjà proposé ou s’être vu proposer des actes sexuels en échange d’argent, de biens ou de services. Parmi elles, on comptabilise 5,6% de femmes pour 5,2% d’hommes.
7,9% soit 67 personnes, ont déjà envisagé de recourir à ces pratiques ou pourraient y avoir recours (31 femmes et 36 hommes).
7% des répondant-e-s soit 58 personnes, affirment connaître au moins une personne étudiante ayant recours à ces pratiques.
La prostitution étudiante existe, dans des proportions toutefois non identifiées. Le phénomène qui peut paraître marginal est surtout invisible et mal documenté. Il pourrait concerner plusieurs milliers d’étudiant-e-s.
«Osons en parler»
En 2013, l’AFEP (Association Fédérative des Étudiants de Poitiers), soutenue par la Médecine Préventive de Poitiers (SIUMPPS) menait la campagne «Osons en parler». Un documentaire donnait la parole à deux anciennes prostituées, dont une étudiante de Poitiers. Ces deux femmes donnaient des avis et conseils pour aider les personnes qui sont confrontées ou qui pensent à entrer dans la prostitution. Leur idée était de développer des actions de prévention et d’information à destination en priorité des étudiant-e-s mais également plus largement auprès des parents, éducateurs/trices et professionnel-le-s médico-sociaux.
Pour l’UNEF, le phénomène a tendance à se développer en raison d’une plus grande précarité des étudiant-e-s. Julie El Mokrani Tomassone, en charge à l’UNEF des questions de société, dénonce un système d’aide sociale qui exclut une partie des étudiant-e-s. Ainsi les logements étudiants ne sont pas suffisants et trop chers pour une grande partie des étudiant-e-s. Elles-Ils travaillent de plus en plus tout en poursuivant leurs études, certain-e-s n’arrivent plus à tout concilier et doivent renoncer à leurs études.
L’UNEF souhaiterait que le Ministère de l’enseignement supérieur se saisisse de la question avec le Secrétariat d’État aux Droits des femmes. «Un-e étudiante qui se prostitue n’a personne pour l’écouter, l’encadrer ou la soutenir. À l’université, les personnel-le-s ne sont ni préparé-e-s, ni formé-e-s, ni sensibilisé-e-s à recevoir des étudiant-e-s en galère» explique Julie El Mokrani Tomassone. Pour elle, il semble difficile de mener une campagne contre la prostitution dans les universités mais elle suggère que l’observatoire de la vie étudiante fasse des enquêtes.
Lors du dernier congrès de l’UNEF en octobre 2013, une résolution a été prise en faveur de l’abolition de la prostitution.
Les jeunes pour l’abolition de la prostitution
73% des jeunes de 18 à 25 ans sont favorables à l’abolition de la prostitution.
Le collectif jeunes abolition (1) qui totalise près de 40 000 adhérent-e-s, a lancé en octobre 2013 une campagne sur les réseaux sociaux et dans 15 villes de France. L’objectif de cette campagne était de travailler les idées reçues sur la prostitution, de montrer que la prostitution est une violence, que l’abolition est la solution qui doit être portée par toute la société et en priorité la jeunesse et par les parlementaires qui vont voter la loi.
Le collectif avait envoyé une série de courriers à Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, aux président-e-s des groupes parlementaires, au Premier Ministre et aux trente-sept sénateurs et sénatrices de la commission spéciale pour l’étude de la loi abolitionniste. Pour les membres du collectif, il s’agira également, une fois la loi votée, d’être vigilant-e-s à son application et aux moyens mis en place.
Il reste qu’il demeure difficile de s’adresser à ces jeunes femmes, souvent invisibles.
Pour Hélène de Rugy, «on ne peut parler de prostitution étudiante mais plutôt de prostitution de jeunes.» La secrétaire générale de l’amicale du Nid pense qu’il n’y a pas de profil type, la précarité est une explication, tout comme d’autres fragilités : les ruptures familiales, les violences pendant l’enfance sont également, comme pour toute personne en situation de prostitution, une cause de l’entrée dans la prostitution. «ll faut continuer à faire de la prévention, on ne peut sortir indemne d’une expérience de prostitution» insiste Hélène de Rugy.
François WIOLAND du mouvement du Nid parle de mur entre la vie dans la prostitution et la vie étudiante. Il dénonce les résistances des administrations et des directions universitaires à aborder le sujet. «Les étudiant-e-s qui se prostituent s’adressent à nous lorsqu’elles ont vraiment touché le fond et ensuite disparaissent. Elles ne peuvent parler à personne de leur situation, elles vivent un isolement, une solitude totale.»
Il serait temps que les universités sortent du déni.
Caroline Flepp, 50-50 magazine
1 Les EfFRONT-é-e-s, La Mutuelle des Étudiants , Le Mouvement des Jeunes Communistes Français, Le Mouvement des Jeunes Socialistes, Osez Le Féminisme, l’Union des Étudiants Communistes, l’Union Nationale des Étudiants de France, l’Union Nationale Lycéenne. Le collectif Jeunes abolition fait partie d’Abolition 2012, un collectif qui regroupe soixante organisations.
La proposition de loi de renforçant la lutte contre le système prostitutionnel passera en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale le 12 juin 2015.