Articles récents \ France \ Médias Natacha Henry : «je demande une déclaration de soutien de la part des rédacteurs en chef.»
Natacha Henry est journaliste, autrice et formatrice. Les 40 journalistes qui ont publié le 4 mai dernier dans Libération une tribune contre le sexisme des hommes politiques ont cité un de ses ouvrages Les mecs lourds ou le paternalisme lubrique. Elle commente leur initiative.
Qu’avez-vous pensé de cette tribune ?
Ces 40 femmes journalistes ont osé avoir une action collective et féministe. Il était temps, d’autant plus qu’elles sont de plus en plus nombreuses dans le métier, une nouvelle génération arrive. Mais je me suis interrogée sur le silence assourdissant de leurs employeurs. Des médias : quotidiens, radios, sites viennent de signer une tribune contre l’homophobie et pourquoi pas contre le sexisme ?
Une loi a été adoptée, le 6 août 2012, contre le harcèlement sexuel. Le droit du travail doit être appliqué. Les journalistes ont le droit de travailler dans de bonnes conditions, dans un contexte non sexiste, non hostile.
Loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel
Art. 222-33.
I. – Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
II. – Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
III.- Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis :
1° par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° sur un mineur de quinze ans ;
3° sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
5° par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
Que demandez-vous pour que les choses bougent dans les médias?
Il serait fâcheux que cette mobilisation ne soit pas suivie d’effets. Il faut que ce mal être soit pris en compte par les hiérarchies. Où sont les tribunes des rédacteurs en chef exigeant des politiciens sexistes qu’ils laissent travailler les journalistes ? Les menaçant de boycott ? En cas de sexisme, pas de couverture presse !
On pourrait imaginer que des femmes portent un badge sur leurs vêtements indiquant leur rejet du sexisme !
Et puis à chaque fois que l’on est agressée, il faut sortir la loi. Ce que font ces députés, est interdit par la loi, et réprimé. En plus, ils sont si ringards qu’ils font prendre du retard à la société française, ils ralentissent le progrès social.
Que dit la ministre de la Culture sur la question du harcèlement des femmes journalistes ? je pose la question…
Quelles conséquences ont ces attitudes sexistes sur le travail des femmes journalistes ?
Elles anticipent les problèmes qu’elles vont devoir affronter. Comment vais-je faire pour me rendre transparente, pour me désexualiser, c’est ce qu’elles se disent en partant pour une interview. Comment bien travailler quand un homme politique assis en face de vous, vous regarde de la tête aux pieds ? Avec des remarques du genre : «vous êtes mariée ? Pas grave, je ne suis pas jaloux.» Comment formuler la question sans risquer de commentaire lourd ? Puis-je le regarder dans les yeux ? La porte peut-elle rester ouverte ?
J’ai plein d’exemples de ces attitudes.
Je pense à cette étudiante en journalisme de 23 ans qui va interviewer un homme politique de 40 ans son aîné. D’emblée, il lui met la main sur le genou. Elle a un mouvement de recul mais il lui dit « vous savez j’ai peur en interview, ça me rend timide» !! Tétanisée, elle a laissé cette main posée sur son genou. Car que faire ? Qui va la soutenir ? Les étudiantes n’osent pas dénoncer ce type de comportement auprès des directions de leur école.
Et il y a aussi cette jeune journaliste qui est convoquée par son rédacteur en chef. Il ferme la porte de son bureau et commence : «tu es venue en jupe, ça éclaire ma journée, merci de venir en jupe tous les jours.»
C’est lui, son chef, qui va l’aider ?
La souffrance au travail est présente avant l’entretien, pendant et après. Il faut arrêter de parler de galanterie et de badinerie, il est question ici de maltraitance professionnelle.
Mais je suis optimiste. L’action collective aura raison de ces paternalistes lubriques. Ils savent à présent que les femmes journalistes sont solidaires et qu’ils n’ont qu’à bien se tenir !
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
Natacha Henry Les mecs lourds ou le paternalisme lubrique Ed. Gender Company 2014.En vente à la libraire Violette and Co (102 Rue de Charonne, 75011 Paris)