Articles récents \ Monde En Asie, les femmes écrivent et parlent malgré les menaces de mort ou d’exil
La semaine dernière à Karachi, Sabeen Mahmud a été tuée de 5 balles après avoir donné une conférence sur les droits humains au Baloutchistan, province pauvre mais riche en ressources minières du Pakistan. Sharmila Seyyid, une écrivaine et poète vit maintenant en lieu sûr dans le sud de l’Inde, loin de sa maison au Sri Lanka ; elle est poursuivie par des mollahs fondamentalistes des deux pays pour avoir accordé une banale interview à la BBC. Ce sont des femmes qui parlent ouvertement des droits humains et des droits des femmes afin que femmes et hommes se respectent et vivent avec dignité.
Sabeen Mahmud avait fondé le T2F café (The second Floor), un lieu d’arts et de culture, un lieu de dialogue où l’imaginaire peut exister librement. Durant ces vingt dernières années, des écrivaines d’Asie du sud-est comme Arundathi Roy, Kutti Revathi, Bama, Sukirtharani, Taslima Nasrin (1) et beaucoup d’autres que nous connaissons moins ont subi toutes sortes de harcèlements. Malgré les menaces, beaucoup ont poursuivi leur travail d’écriture.
Kutti Revathi a continué à composer des poèmes malgré les menaces de mort. Bama et Sukirtharani ont elles aussi persévéré malgré les attaques contre leur féminisme. Beaucoup de femmes, avant elles, ont dû s’exiler à cause de leurs prises de position sur les religions, et les droits des femmes à vivre sans subir de violences. Taslima Nasrin vit aujourd’hui en Allemagne.
Les violences contre les écrivaines en augmentation
Pourquoi les femmes qui écrivent doivent-elles avoir peur des fondamentalistes ? Pourquoi y-a-t il une violence croissante envers elles ? Qu’est-ce qui déclenche de telles réactions de la part des religieux fondamentalistes ?
Les fondamentalistes croient que la société doit garder les structures patriarcales intactes, afin de maintenir les femmes à leur place dans les rôles traditionnels sans aucun droit. Si elles pensent ou s’expriment d’une façon indépendante, elles s’attaquent au statu quo, ce qui n’apportera qu’incertitudes et doutes quant aux rôles des hommes et des femmes dans la société.
Sabeen Mahmud et son organisation T2F soutenaient la cause du Baloutchistan indépendant. Sa dernière conférence s’intitulait «redonner voix au Baloutchistan», elle y avait convié Mama Qadeer, leader de la communauté séparatiste et père d’un des disparus. Les services secrets pakistanais sont responsables de nombreux enlèvements et exécutions visant à mater les séparatistes de cette province fort riche en ressources naturelles. Sabeen Mahmud s’élevait contre cette injustice et donnait la parole aux séparatistes.
Sharmila Seyyid remet en question le système de la Purdah (2) et écrit sur les droits des prostituées. Kutti Revthi parle avec hardiesse du corps des femmes (un peu à la manière d’Hélène Cixous). Taslima Nasrin est ouvertement athée et réclame la libération des femmes de la domination masculine dans l’islam. Bama remet en cause l’oppression masculine et le système des castes. Arundathi Roy se bat pour le droit des adivasi (3), populations autochtones et paysannes, à vivre sans risque d’être assassinées par le gouvernement indien.
Soni Sori, une adivasi, enseignante, syndicaliste et activiste qui défend le droit à un salaire décent a été torturée par la police. Pourquoi ? Pour ses positions et aussi parce qu’elle a défié de puissantes multinationales qui veulent faire main basse sur les territoires adivasi.
La souveraineté des multinationales et des religions
Les fondamentalistes refusent de reconnaître la tradition féminine de franc-parler que l’on retrouve dans la littérature, les arts et les traditions spirituelles. Pour eux, une femme ne peut être éduquée : elle risquerait de remettre en cause la division traditionnelle des genres. Pour le néolibéralisme au pouvoir et le fondamentalisme, il est important de garder les femmes silencieuses, et ainsi de garantir la souveraineté des multinationales et des religions.
Sabeen Mahmud a été assassinée au moment où le Pakistan et la Chine passaient un accord stratégique concernant les ressources du Baloutchistan avec $46 milliards d’investissement chinois à la clef.
Les femmes qui parlent, interrogent, imaginent, écrivent sont un cauchemar pour le fondamentalisme et le néolibéralisme. Une seule chose à faire pour faire taire ces machines féministes à penser humaniste : les tuer ou les envoyer en exil.
Mais nous voyons ces femmes activistes, écrivaines, réalisatrices, continuer à faire ce qui est important pour elles, simplement parce qu’il n’y pas d’autre moyen de donner du sens à leur vie. Les menaces de mort ne peuvent pas les empêcher de dire ce qu’elles ont à dire ; il faut les entendre et les lire au delà des frontières.
Pramila Venkateswaran, poètesse indienne vivant aux États-Unis, et Brigitte Marti, collaboratrice USA 50-50 Magazine
Membres du Center for Transnational Women’s Issues
1 Arundathi Roy (Inde), Kutti Revathi (Inde), Bama (Inde), Sukirtharani (Inde), Taslima Nasrin (Bangladesh).
2 La purdah (rideau) désigne une pratique empêchant les hommes de voir les femmes et obligeant les femmes à porter la burqa. La purdah existe dans les communautés hindoues et musulmanes du sous-continent indien et dans les pays arabes.
3 Les avisadi sont des aborigènes de l’Inde.
Photo Sabeen Mahmud