Articles récents \ France \ Société Africa 93 : «L’islamophobie ? Un faux problème. Le vrai problème, c’est le racisme»
Africa 93 est créée en 1983, à la suite d’une lutte pour le relogement de familles de Seine Saint Denis par un groupe d’habitant-e- s de la Courneuve, issu de la deuxième génération d’immigré-e-s et composé en majorité de femmes. La lutte anti-raciste qui s’accompagne d’un fort ancrage à gauche est le fondement de leur engagement. Et de leur propre aveu, quasiment toutes les activités de l’association se font «en direction des femmes».
Une association résolument féministe
A la suite des émeutes d’octobre 1988 en Algérie, l’association décide d’introduire le féminisme dans ses statuts. Africa le proclame haut et fort : «le féminisme est le courant le plus radical du mouvement social. Il revendique l’égalité dans les droits sociaux, économiques et civiles. Et touche aussi au privé.»
Mimouna Hadjam, sa présidente participe à de nombreuses initiatives du mouvement féministe ainsi elle était, en octobre 2014, à la tribune de la première conférence du Réseau Internationale Féministe et Laïque créé à initiative de Femmes Solidaires (lire notre article).
L’association met en exergue le fait que les violences sexistes traversent tous les milieux et qu’elles ne touchent pas que les banlieues. Elle dénonce ce qu’elle nomme «les négriers des temps modernes» qui exploitent les femmes d’origine africaine en particulier.
Africa 93 reçoit chaque année plus de 1000 personnes, en grande majorité des femmes. Les hommes ont eu plus accès à l’éducation dans leurs pays d’origine et sont donc «une exception dans le public de l’association» explique François Vignal, salarié de l’association.
Un travail au plus près des habitant-e-s
L’association a mis en place des actions de soutien scolaire, des cours d’alphabétisation, une permanence juridique. Elle a reçu pendant des années le soutien de trois professeurs du prestigieux lycée Henri IV.
Elle anime un café des parents qui reçoit un grand nombre de familles monoparentales, un café citoyen qui donne la parole à des victimes de violences, des personnes sans papier etc…
Il y eu aussi un café culturel qui lui a permis d’accueillir, entre autres, des figures comme Leila Chahid, Angela Davis, Christine et Abraham Serfaty, Marie-George Buffet et Françoise Héritier.
L’objectif d’Africa 93 est toujours d’instaurer un dialogue avec le public et de mettre en avant les valeurs républicaines, sans donner de leçons.
François Vignal, dénonce la politique que mène la ville, oubliant de prendre en compte les questions des femmes. Il constate par exemple une surmortalité infantile à la Courneuve, plus forte que celle autres communes de Seine-St-Denis. Serait-ce du fait de l’emprise des maris sur les femmes enceintes ? «Les associations de quartier sont traitées comme des sous-traitants par les politiques» dénonce le salarié d’Africa 93. La municipalité de la Courneuve est pourtant dirigée par Gilles Poux, maire Front de Gauche.
Une association fragile
La survie de l’association a toujours été fragile. Dès sa création, l’association fait une demande de local auprès de la municipalité, sans succès. Il lui faudra attendre quatre ans pour obtenir son premier financement : 750 € , et huit ans pour enfin rentrer dans ses locaux !
En 2004, plus de subventions ! La raison : une banderole sur le fronton du local qui proclame «Honte à l’État d’Israël» !
En 2014, nouveau coup dur : la préfecture de Saint Denis effectue un contrôle des comptes de l’association.. En amont, c’est trois mois de travail pour préparer ce contrôle.
Aujourd’hui, Africa a deux salarié-e-s en emploi aidé. L’association revendique 300 adhérent-e-s et s’appuie sur 30 à 50 bénévoles. Mais les bonnes vocations sont de plus en plus difficiles à trouver, car «il y a de plus en plus de repli dans les banlieues comme ailleurs en France.»
L’esprit puritain des cités
La crise économique et sociale, les responsables d’Africa 93 en voient les conséquences au quotidien : l’association est de plus en plus souvent appelée pour traiter des dossiers de surendettement. Cette situation, couplée à l’absence de perspectives d’avenir conduit des fondamentalistes religieux à vouloir combler ce vide en imposant des normes rétrogrades pour contrôler le corps des femmes. Les jeunes garçons du quartier suivent souvent, persuadés de respecter leur culture d’origine.
François Vignal qui «pensait que c’était gagné pour la laïcité» dénonce cet esprit puritain : «l’islamophobie est un faux problème. Le vrai problème, c’est le racisme.»
Et Mimouna Hadjam insiste: « Africa milite pour la laïcité dans le respect des croyances et des convictions de chacun-e. »
Caroline Flepp et Guillaume Hubert , 50-50 Magazine
1 Le 5 octobre 1988, l’armée algérienne massacre 500 jeunes. La jeunesse se révolte mais le mouvement est très vite récupéré par le FIS (Front Islamique du Salut) qui s’attaque tout de suite aux droits des femmes.