Articles récents \ France \ Politique \ Contributions Les binômes femmes-hommes aux élections départementales ou le Big Bang juridique de la parité
Au premier tour des élections départementales, l’électeur avait le choix entre plusieurs binômes de candidat-e-s affilié-e-s à des partis politiques différents. C’est la conséquence directe de la candidature en binôme femme-homme, rendue obligatoire par la loi du 17 mai 2013 dont la première application date du 22 mars dernier. Lundi 30 mars, il y aura 50% de conseillères départementales, un véritable «Big Bang paritaire».
Auparavant pour les élections cantonales, un-e candidat-e était élu-e par canton et les conseils généraux étaient composés d’hommes à 87%. Et il y avait plus de candidats que de candidates.
Le binôme femme-homme peut être le résultat d’un accord entre des partis différents, néanmoins les candidat-e-s composant le binôme devaient obligatoirement être de sexes différents. Les partis qui ont présenté un binôme ensemble ont donc également dû se mettre d’accord sur le sexe des candidat-e-s qui allaient les représenter. Il ne faut pas non plus négliger les dynamiques locales dans le choix des candidat-e-s aux départementales. Par exemple, une femme ou un fille de notable en milieu rural, une militante associative locale auront souvent plus de chances d’être désignées.
La contrainte légale du binôme est-elle nécessaire ?
Égalité, parité, équité, égal accès… parfois nous avons l’impression de nous perdre dans une terminologie complexe, alors que l’enjeu est très simple : «Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes», dispose l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944. Principe également inscrit dans l’article 3 (1) de la Constitution du 4 octobre 1958.
En outre, le droit de vote a été parfois considéré comme un droit plus important que l’éligibilité puisque voter pour son représentant équivaut à influencer la décision prise par les politiques. Avoir l’impression d’avoir le choix en votant pour des femmes pouvait suffire à épancher la soif démocratique.
Les opposant-e-s au suffrage des femmes comptaient sur leur non candidature justement puisque la faible présentation des candidates aux élections restreint d’une manière importante ce droit de vote car le choix reste très homogène et masculin. Plus qu’être élue, se présenter sur les listes électorales doit être la priorité et la loi de 2013 y répond parfaitement. Car cinquante ans après le droit de vote et d’éligibilité accordé aux femmes, les conditions réelles ne s’étaient toujours pas améliorées «naturellement».
Ainsi en 1993, les élues à l’Assemblée Nationale constituaient 6,1% des député-e-s, soit à peine 1% de plus qu’aux premières élections de 1945. Ce taux est, depuis les élections de 2012, de 26,9% dans la chambre basse du Parlement. Quant aux départements, le taux est actuellement de 16,3% pour les conseils généraux et 5% concernant les présidents des conseils généraux (2)
Il y a aussi des enjeux spécifiques pour les femmes qui voudraient se lancer dans la course électorale. Celles-ci sont plus nombreuses à vouloir (ou devoir) concilier leur vie d’élue avec leur profession ou leur vie personnelle que leurs homologues masculins.
«La parité renvoie à un déterminisme mathématique impossible à mettre en œuvre», rapport parlementaire, 1998
La première loi constitutionnelle sur la parité, du 8 juillet 1999, inscrit le principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. À l’époque, les parlementaires ont préféré parler d’«égal accès» au mot «parité», puisque, disait-on, la notion de «parité» renvoie à un déterminisme mathématique impossible à mettre en œuvre… la notion d’égal accès se rattache aux grands principes républicains…» (3). La parité est une mathématique simple mais difficile à admettre.
Lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ce principe a été inscrit à l’article premier de la Constitution. Cette position majeure dans la constitution a permis d’ouvrir la voie à de nouvelles lois visant à améliorer la représentation des femmes en politique et aussi dans la vie professionnelle et sociale.
Ainsi, l’interprétation du Conseil Constitutionnel relative aux lois imposant des quotas de chaque sexe, telle que la loi imposant des quotas aux conseils municipaux, jugée inconstitutionnelle par les sages dans leur décision du 18 novembre 1982, n’avait plus lieu d’être.
La loi n’entérinait plus la division entre citoyens et citoyennes, elle permettait donc de disposer de moyens concrets pour promouvoir un droit : l’égal accès des femmes et des hommes.
Elle était nécessaire puisque «l’égalité constitue à la fois un droit fondamental en soi et une condition d’exercice d’autres droits fondamentaux… » (4). Les lois ont pu se suivre dans cette voie afin de concrétiser l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans le domaine des mandats électoraux et fonctions électives.
La loi sur les élections départementales a été promulguée le 17 mai 2013. Ainsi, le conseil général devient le conseil départemental, constitué des conseiller-e-s avec un mandat de six ans, et entièrement renouvelable tous les six ans. Les cantons ont également été redessinés. Deux candidat-e-s se présentant obligatoirement en un binôme, composé d’une femme et d’un homme, seront élu-e-s par canton, donc au scrutin binominal à deux tours. Chaque conseil départemental sera ainsi paritaire.
La loi du 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, instaure également une obligation de présenter un rapport sur l’égalité pour la présidence du conseil général (5).
De la parité numérique à la parité réelle
Puisque la parité numérique dans le conseil départemental est atteinte, il est préférable de la voir également au sein des formations stratégiques du conseil départemental.
Il existe une contrainte d’alternance stricte des deux sexes chez les candidat-e-s dans la commission permanente (6). Il y a également une obligation d’organiser un scrutin de liste pour l’élection des vices président-e-s des conseils départementaux (7). Il ne pourra pas y avoir de différence supérieure à un entre le nombre de candidats et de candidates sur les listes pour les vices-présidences des conseils départementaux.
Cependant, aucune contrainte légale n’est posée concernant l’exécutif départemental, c’est à dire, le ou la président-e. Or, comme dans tous les domaines, plus les responsabilités associées aux postes sont grandes, moins les femmes sont représentées.
Il faut donc encourager les femmes à se déclarer compétentes pour les postes les plus importants, notamment à la tête des conseils départementaux. En outre, les partis politiques, qui sont censés exister pour faciliter l’expression du suffrage et décident de l’attribution des responsabilités politiques et électives, doivent exercer la responsabilité qui leur incombe à travers l’article 4 de la Constitution (8).
Julie Castrec, doctorante en droit public avec la rédaction de 50-50 Magazine
1 «Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques»
2 Haut Conseil à l’Égalité, Guide de la Parité, version du 26 janvier 2015.
3 Rapport, n°1240, de la Commission des lois constitutionnelles, Mme Catherine Tasca, 1998, p.93.
4 Mélin-Soucramanien (F.), Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica-PUAM, coll. « Droit public positif », Paris, 1997.
5 Article L3311-3 du Code des collectivités territoriales.
6 La commission permanente réunit la présidence, les vices-présidences et des représentant-e-s de chaque groupe politique du conseil départemental en comité restreint. Article L3122-5 «Les membres de la commission permanente autres que le président sont élus au scrutin de liste. Chaque conseiller départemental peut présenter une liste de candidats, qui doit être composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.»
7 Article L3122-5 «Après la répartition des sièges de la commission permanente, le conseil départemental procède à l’élection des vice-présidents au scrutin de liste à la majorité absolue, sans panachage ni vote préférentiel. Sur chacune des listes, l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un.»
8 «Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage…Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi»