DOSSIERS \ IVG USA: surveiller et punir Aux Etats-Unis : avorter peut mener en prison

Aux Etats-Unis, il devient de plus en plus difficile d’avoir accès à l’IVG. Au delà de l’IVG, il s’agit pour les conservateurs d’instiller une forme de violence d’Etat qui menace les femmes dans tous les moments de leur vie reproductive. Leurs décisions sur leur santé et leur vie sont constamment remises en question et sujettes à surveillance et contrôle selon leurs statuts socio-économique et racial.

En Pennsylvanie, Jennifer Whalen est en prison pour une durée de 9 à 18 mois pour avoir fourni à sa fille le RU 486 qu’elle avait commandé et reçu via internet. Sa fille maintenant âgée de 19 ans souhaitait mettre fin à une grossesse non désirée. La famille Whalen vivant dans une zone rurale de l’Etat à 121 km du centre IVG le plus proche, avec une seule voiture pour la famille, le voyage devenait un obstacle. Mais une fois là-bas rien n’aurait été facile. Elle aurait dû payer son IVG, ce qui représente un coût oscillant entre 500 $  et plusieurs milliers de dollars; elle aurait dû passer deux jours sur place ou faire deux voyages car l’Etat de Pennsylvanie exige une visite préalable 24 heures avant l’IVG ;  elle aurait très probablement dû passer devant une rangée d’opposant-e-s qui l’auraient insultée.

Mais en matière de reproduction, le blâme et le coût se posent pour les femmes. Ainsi, Jennifer Whalen qui est assistante de vie dans une maison de retraite, s’est procurée les pilules miracles pour sa fille pour 45 $ ce qui représentait une belle économie considérant que la famille n’a pour revenu que son simple salaire, son mari étant sans emploi. Jennifer n’ayant jamais eu aucune information sur le sujet a simplement pensé que si elle pouvait se procurer ces pilules abortives si facilement sur internet, cela ne pouvait pas être illégal.

La fille de Jennifer a suivi les instructions qui accompagnaient l’envoi et a avalé les pilules. Tout se passait bien puis soudainement elle a été prise de fortes crampes. La fille et la mère ont pris peur et se sont rendues à l’hôpital le plus proche. Là, une fois de plus, elles se sont retrouvées bien seules. Elles ont expliqué timidement la raison de cette apparente fausse couche. La jeune femme est rentrée chez elle sans aucun autre commentaire. Mais l’hôpital a envoyé un rapport aux autorités pour «violence potentielle ou confirmée envers un enfant.»

Le personnel hospitalier les a donc dénoncés. Ensuite, la police a fait le reste. Au procès, le juge a clairement affiché son manque de sympathie ou même de pitié pour Jennifer Whalen. Elle a été condamnée à une sévère peine de prison, qu’elle est en train de purger.
L’histoire a fait la Une des journaux locaux, un des sénateurs de l’État a déclaré qu’elle avait mis en danger la santé de son enfant. Il faudrait se demander qui a vraiment mis en danger la santé de sa fille car l’Etat n’a pas fourni l’assistance nécessaire. La fille de Jennifer Whalen qui était au lycée n’avait pas d’assurance de santé et la famille est ce que l’on appelle «low income» (petits revenus) et n’a donc aucune solution accessible pour éviter cette grossesse dont elle ne voulait pas.

L’avortement est une droit constitutionnel

Depuis l’arrêt de la Court Suprême, Roe v Wade en 1973 qui a reconnu l’avortement comme un droit constitutionnel lié à la vie privée, les opposant-e-s à l’avortement n’ont eu de cesse de mettre des barrières à l’accès à l’IVG. D’abord, en 1977, le Hyde amendement qui interdit tout soutien financier par le gouvernement fédéral. Ensuite, ont suivi les lois pour la protection du fœtus et de plus en plus de restrictions pour  l’accès à l’IVG, votées Etat par Etat, sous le fallacieux prétexte de protection de la santé des femmes. Ces mesures ont entraîné la fermeture de nombre de centres IVG ainsi que des pressions croissantes sur les praticien-ne-s qui pratiquent l’IVG. Aujourd’hui seul l’Etat de l’Oregon n’a pas changé sa législation depuis 40 ans. Sur tout le pays, 87% des comtés n’ont pas de centres IVG et seulement sept Etats autorisent de façon permanente l’avortement.

Jennifer Whalen a été accusée par le juge, «de prendre en main la santé et la loi.» Dans ce contexte d’inégalités, se faire soigner et avoir accès à la contraception et à l’avortement posent des problèmes insolvables pour beaucoup de femmes.

De plus, durant ces dernières années ce sont les femmes qui ont été le plus touchées par le démantèlement des quelques lois de protection du travail aux États Unis, ainsi que l’élimination de certaines aides sociales.

Les limites de « l’Obamacare »

Au pays de la médecine de profit, car il n’y a pas de système de santé public, et le ‘Obamacare’ n’a pas changé en profondeur cette réalité, les assurances de santé, liées à l’emploi, passent contrat avec les employeurs et souvent ne sont pas tenues de couvrir les besoins spécifiques des femmes. Neuf États interdisent toute forme de prise en charge de l’avortement par les assurances privées, n’autorisant une exception qu’uniquement dans le cas où la vie des femmes serait en danger.

Une récente étude montre que sur 639 femmes ayant eu une IVG dans différents États, 69% des femmes qui avaient une assurance de santé ont payé la totalité des frais. Seules 12% des IVG en 2008 ont été couvertes par les assurances de santé. Medicaid, l’aide médicale aux plus pauvres, ne couvre et avec beaucoup de restrictions les frais d’IVG que dans 17 États sur 50.

Le maître mot est barrière. Les femmes rencontrent une multitude de barrières pour prendre soin de leur santé reproductive d’une façon générale, mais plus particulièrement dans les États du Midwest et du Sud, là ou les populations sont les plus démunies et isolées. La mise en place de ces barrières  s’est accélérée depuis ces dernières années. Plus de 200 lois restrictives ont été promulguées dans 30 États entre 2011 et  2014, dont 60 seulement en 2013. Ces dernières ont accéléré la fermeture des centres IVG (CIVG). Les CIVG sont souvent la seule solution pour obtenir un avortement. Ces lois ont imposé aux CIVG d’avoir des équipements coûteux et complètement inutiles afin de forcer leur fermeture, ainsi seules resteront les cliniques de luxe pour les femmes les plus aisées.

Dans ce contexte, on comprend que Jennifer Whalen devait servir d’exemple pour décourager quiconque essaierait de sortir de ce cercle infernal. Avec la fermeture des CIVG, les cas comme celui ci vont se répéter.

Elizabeth Nash une chercheuse pour le Guttmacher institute, a pu identifier plusieurs cas d’incarcération de femmes à la suite d’avortements non déclarés ou jugés illégaux. Les femmes sont de plus en plus criminalisées pour ne pas avoir les moyens de subvenir à leurs besoins en matière de reproduction, on voit donc la rationalisation de la notion d’avortement hors la loi dans un pays ou l’avortement est un droit constitutionnel.
Avec le nouveau Congrès à majorité républicaine, les organisations féministes sont sur le pied de guerre car il est clair que le but des conservateurs est de rendre l’avortement et la contraception inaccessibles, en particulier pour les femmes de couleur, pauvres ou émigrantes et la prison fera encore partie des moyens de contraintes.

Brigitte Marti collaboratrice USA  50-50 magazine

 

Dessins Pierre Colin-Thibert

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