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Nous avions rencontré Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, en avril dernier. Il était hier à Londres. 50-50 magazine a décidé de republier le portrait de cet homme féministe, affable, comme un hommage aux 12 personnes qui ont été assassinées au cœur de Paris.

Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo:  «je suis féministe»

Fils unique, élevé dans un cocon par une mère et une grand-mère italiennes et un «père qui ne bougeait pas beaucoup de sa chaise», dans un monde de modèles patriarcaux, Gérard Biard ne semblait pas forcément destiné à devenir féministe.
C’est en apprenant à vivre seul qu’il a commencé à se poser des questions. Il a donc dû assumer ce qu’un homme dans le monde dont il est issu n’était pas du tout censé faire: les courses, le ménage, la vaisselle. Il a même trouvé que ce n’était pas si horrible que ça de faire ce qui incombait aux femmes.

Et puis en réfléchissant à ce que signifiait être de gauche, il en est arrivé à la conclusion que somme toute, peu d’hommes de gauche vivaient leurs convictions. Les valeurs d’humanisme, de partage, d’égalitarisme qu’il porte en lui l’ont amenées à vouloir être aux côtés des femmes.

Pour Gérard Biard, «il est vraiment bizarre d’être de gauche et pas féministe. Le féminisme n’est pas un gros mot. C’est pour moi une idée politique qui est fondée sur l’égalité sociale véritable, indépendamment de toute différence biologique. Il est totalement injuste que la moitié de l’humanité domine l’autre moitié».

Un journaliste à part

Gérard a construit très progressivement son féminisme, tout d’abord en écrivant de temps en temps des papiers dans Charlie Hebdo dans le cadre d’une rubrique «A bas la pub», confronté comme il le dit à «ce qu’il y a de plus pervers et de plus cynique dans la société». Et il y a 10 ans il a coordonné un hors série de Charlie Hebdo «A bas la pub» . Il avait alors interviewé Florence Montreynaud avec qui il est devenu ami et qui a naturellement pensé à lui lorsqu’elle a eu la belle idée de rassembler des hommes contre la prostitution. Aux côtés de Patric Jean et de Frédéric Robert , et aujourd’hui d’Alain Eludut, Gérard est devenu l’un des porte-parole de Zero macho .

Il a également coordonné, toujours pour Charlie Hebdo, un hors série sur les femmes «Le féminisme est l’avenir de l’homme», une brochure qui démontre qu’il maîtrise tout à fait les fondamentaux du féminisme.

Et il avoue que s’il a sa carte de presse, il ne se sent pas du sérail et n’entretient pas de rapports particuliers avec le monde des médias. Pour lui c’est avant tout devenu une profession qui «s’intéresse à ce qu’il y a dans l’air». «D’un autre côté, les choses évoluent quand même » ajoute-t-il. «Quand, à Charlie Hebdo, on a organisé et publié un grand débat interne sur la prostitution, il s’est avéré que la balance entre réglementaristes et abolitionnistes au sein de la rédaction était plutôt équilibrée. Elle pencherait même du côté abolitionniste, contrairement à ce que l’on pourrait penser»

Zero macho, des hommes qui disent non à la prostitution

«Je ne remercierais jamais assez les 343 crétins (manifeste «Touche pas à ma pute» paru dans Causer du 30 octobre 2013) d’avoir dévoilé ce qu’il y avait derrière le discours réglementariste. Avec leur manifeste ouvertement machiste, ils ont révélé la véritable nature de l’idéologie qui guide les partisans d’une «prostitution libre », ils ont arraché sans le vouloir le faux nez « libertin » ou «progressiste ». Ils ont dit: les femmes nous appartiennent sexuellement ».

Quand il anime un débat sur la prostitution, ainsi au siège de Femmes solidaires, quelques jours avant le vote de la loi sur la prostitution, dans le cadre de la projection du film canadien de Valérie Lesage «l’imposture», on le sent totalement convaincu, touché.

«C’est la première fois qu’une loi féministe s’attaque au cœur du problème, c’est à dire la domination masculine.» Avec cette loi Gérard Biard pense que l’on commence à aborder les choses sérieuses. Pour lui, les lois sur les femmes n’ont rien enlevé aux hommes ou du moins pas directement. «Il n’est pas acceptable que dans une société démocratique, les femmes soient sexuellement mises à la disposition des hommes. La loi de Najat Vallaud-Belkacem est un réel bouleversement sociétal». Le rédacteur en chef de Charlie hebdo insiste sur le fait que les médias n’ont parlé que de la pénalisation du client, «oubliant» la volonté de l’Etat d’aider les prostitués à sortir de l’enfer, se focalisant sur les hommes et leur «irrépressible besoin».

Parcourant le Musée de l’érotisme où l’avait invité son ami Luz qui y exposait quelques dessins, Gérard Biard constate avec lucidité que l’énorme majorité des sexes représentés sont masculins! «On pense toujours la sexualité de manière androcentrée, on ne parle que très peu du désir féminin. Le désir féminin n’est pas défini. Les femmes ont tout de même le seul organe consacré uniquement au plaisir.» Gérard Biard connaît son sujet sur le bout des doigts.

Zero macho a aujourd’hui 2582 membres dans 53 pays. Le mouvement continuera après le vote de la loi. Pour le rédacteur en chef de Charlie hebdo, il reste beaucoup à faire, «nous avons plein de sujets sur le feux, entre autres sur le masculinisme, et sur l’égalité réelle, bien sûr. Mais dans un premier temps, il faudra voir comment la loi d’abolition sera appliquée».

 

Caroline Flepp 50/50 magazine

 

Les douze victimes de la fusillade sont:

Frédéric Boisseau, agent d’entretien

Franck Brinsolaro, brigadier au service de la protection

Jean Cabut, dit Cabu, dessinateur

Elsa Cayat, psychanalyste et chroniqueuse

Stéphane Charbonnier, dit Charb, dessinateur

Philippe Honoré, dit Honoré, dessinateur

Bernard Maris, économiste et chroniqueur

Ahmed Merabet, agent de police

Mustapha Ourrad, correcteur

Michel Renaud, ancien directeur de cabinet du maire de Clermont

Bernard Verlhac, dit Tignous, dessinateur

Georges Wolinski, dessinateur.

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