France \ Société La boxe féminine : entre représentations médiatiques, marketing et pratique
Si l’on considère le sport comme «un vecteur central de la socialisation virile» (1), la boxe en est un symbole par le fait de combattre, la musculature développée et le rapport à la violence. Ce que résume très bien Mahyar Monshipour à l’occasion de son retour sur le ring « je remonte sur le ring parce que la boxe, c’est aussi une question d’honneur et de virilité». On lit, d’ailleurs, dans sa biographie : «On est émasculé, je veux revenir me prouver que je suis toujours un homme, qu’on m’a rien coupé du tout, c’est vraiment personnel». L’insertion des femmes dans la boxe soulève alors plusieurs réticences visibles dans le parcours des pionnières comme dans les représentations médiatiques.
La boxe, un sport masculin ?
Les femmes ont fait leur entrée en boxe plus tardivement que les hommes : en 1997 pour la boxe amateur en compétition (2), en 2004 pour les championnats du monde de boxe professionnelle (3) et en 2012 pour les Jeux Olympiques. Il en résulte une médiatisation en amont de ces événements tandis que les comptes-rendus sportifs restent relativement faibles. En effet, l’événement est annoncé socialement par les médias : «leurs premiers jeux olympiques» (4), le «premier combat de boxe féminine» (5) pour souligner qu’il est historique ; mais peu suivi sous l’angle sportif. Les boxeuses deviennent un symbole de la réussite, revendiquée, des politiques paritaires valorisant ainsi la fédération, le CIO, etc. Elles sont présentées comme des «militantes» souhaitant, par exemple, «profiter de la tribune londonienne pour afficher les progrès constants d’une discipline en mal de reconnaissance…» (6)
Myriam Lamare : une pionnière
Myriam Lamare est la première championne du monde WBA (en boxe professionnelle). Son parcours lui a permis d’obtenir un suivi médiatique. Les reportages proposés par Canal + construisent un parallèle entre la vie de la boxeuse et celle du personnage d’Hilary Swank, dans Million dollar baby, le film de Clint Eastwood. En effet, les représentations télévisuelles de la boxe nourrissent le mythe d’une ascension sociale fulgurante selon lequel n’importe qui peut devenir quelqu’un en construisant sa vie comme une véritable performance . Ce lancement en est révélateur : «Million Dollar Baby / Myriam Lamare Baby c’est aussi mon histoire parce que j’ai galéré, que j’en veux et que c’est très dur pour y arriver». Son enfance est présentée comme une source de motivation dans la boxe, tout comme son origine des quartiers de banlieue parisienne ou encore ses activités engagées, puisqu’elle «prêche, dans les quartiers phocéens et les prisons, la bonne parole de celle qui s’en est sortie à la force du poignet » (7).
À partir de 2005, Myriam Lamare est présentée comme celle qui aura su crédibiliser la boxe féminine en proposant dans les médias un nouveau modèle identitaire féminin : «Ses cinq titres mondiaux en super léger et sa notoriété ont changé l’image de la boxe féminine et pourquoi pas, l’image de la femme» (8). Myriam Lamare est érigée en pionnière ayant permis l’ouverture des salles de boxe aux femmes. Elle déclare d’ailleurs : « c’est un combat que je mène directement, je suis contente de voir et de constater que de plus en plus de femmes ne rêvent plus leur vie mais vivent leurs rêves» (9). Il y a, au niveau amateur, une diversification dans les représentations télévisuelles des boxeuses. Dans le reportage La rage de vaincre : deux filles sur le ring, nous suivons Lucie Bertaud championne d’Europe de boxe (2007), journaliste pour Eurosport et étudiante à Sciences Po; et Sarah Ourahmoune qui est éducatrice spécialisée, chargée de projet dans son club de boxe, championne du monde de boxe (2008) et également étudiante à Sciences Po.
Diversification des représentations
Sarah Ourahmoune (championne du monde de boxe amateur 2008) lire l’article de 50-50 explique que le succès du film Million Dollar Baby a eu plus d’impact en France, sur le développement de la boxe féminine, que l’entrée historique et finalement peu médiatique des boxeuses aux JO. Il semble important pour inciter les femmes à la pratique que les représentations se diversifient dans l’information comme dans la fiction. Par exemple, alors qu’Adrian est une épouse dévouée soutenant amoureusement son mari dans la saga Rocky lorsque celui-ci réalise son rêve américain à la fin des années 80, d’autres films vont mettre en valeur des personnes principaux féminins (Dans les cordes, …).
C’est le Cas de Million Dollar Baby où Maggie se donne «corps et âme» pour accomplir ses propres rêves de gloire pugilistique. Ainsi, la médiatisation de Myriam Lamare et le succès du film Million Dollar Baby auront eu pour incidence de générer une hausse de 25 % des licenciées dans les salles de boxe anglaise en France en 2005 (10).
Enfin, en 2012, dans les représentations médiatiques «un nouveau chapitre s’ouvre dans l’histoire de la boxe» (11) en gratifiant, pour la première fois une femme, la boxeuse Anne-Sophie Mathis, de la plus haute distinction honorifique dans le domaine pugilistique: «le Gant d’or» (12).
La féminisation…
La Fédération Française de Boxe a mis en place une commission chargée du plan de féminisation. Le principe est simple : casser l’image de la boxe comme sport masculin. Le Lady Boxing tour a été crée en 2013 par cette commission, comme un «outil promotionnel pour montrer aux femmes qu’elles peuvent pratiquer mais également faire partie des instances.» explique Séverine Gosselin, présidente de la commission. Ainsi, selon la Fédération, la présence des femmes a augmenté de 7% en 2013, atteignant 19% des licencié-e-s. Le choix qui a été fait par la commission et la Fédération est de «donner une image plus féminine de ce sport» car, comme le rappelle Séverine Gosselin : «il est important pour les boxeuses d’être enfin considérées comme des femmes à part entière.» Cette image de « féminité » passe par l’utilisation de la couleur rose, des formes plus douces, des silhouettes féminines, des talons, mais également par la revendication d’une boxe « au féminin ».
Nous retrouvons ce même processus du côté des équipementiers. Pour Sarah Ourahmoune avec toutes les déclinaisons de la boxe qui se développent depuis que les femmes ont investi les salles de boxe, notamment les disciplines fitness (fitboxing,aéroboxe) et le yoga boxing, il y a un marché pour les équipementiers avec les gammes de produits à destination des femmes. D’après elle, certaines marques ont besoin d’insérer des «codes féminins» dans ce monde traditionnellement masculin avec des gants, des bandes, des casques roses. D’ailleurs, son sponsor lui avait fait mettre des gants roses lors d’un combat.
Un sport qui se démocratise
Durant les 20 dernières années, les représentations de la boxe ont considérablement évolué. D’un sport exclusivement masculin, viril et populaire, la boxe s’est démocratisée en ouvrant ses portes aux femmes, troublant les normes et les représentations de genre traditionnelles. En effet, les femmes se sont appropriées une discipline et des codes historiquement perçus comme masculin. Parallèlement, les codes «féminins» se sont intégrés, portés par le marketing, et ont donné naissance à des déclinaisons hybrides de ce sport.
Cette ouverture laisse à voir une inégalité encore conséquente entre hommes et femmes, en termes de reconnaissances notamment. Saïd Bennajem, ancien champion de boxe et entraîneur au Boxing Beats d’Aubervilliers, souligne que l’on peut déplorer l’inégale répartition des hommes et des femmes aux JO. Aujourd’hui, 36 boxeuses sont inscrites dans 3 catégories de poids contre 10 catégories pour 250 participants chez les hommes. Cette ouverture des événements aux femmes laisse transparaître une nécessité de distinction entre pratique sportive masculine et féminine. Celle-ci passe par différents dispositifs « de féminisation », soutenus par le marketing, les sponsors, les fédérations et la médiatisation.
Sandy Montanola, Enseignante-chercheure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rennes 1 et Natacha lapeyroux, doctorante en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 3. 50-50
1 Guionnet Christine et Neveu Erik, 2004, Cit. p40-41.
2 La boxe amateur est entrecoupée de trois rounds de 3 minutes et se pratique selon « une logique de touche ». Le port du casque est obligatoire pour les femmes afin de réduire l’impact des coups
3 En boxe professionnelle, c’est la logique d’attente qui prédomine « afin de se préserver physiquement, observer son adversaire et le mettre hors de combat le plus vite possible » (Brulot 2013). Le corps y est réellement mis en jeu et le port du casque est prohibé pour les deux sexes.
4 BFM TV, 26/11/ 2011
5 Ouest-France 6/8/12, Aujourd’hui 6/8/12
6 Eurosport 25/7/2012
7 L’Humanité (8/11/2004)
8 Tout le Sport, France 3, 30/11/2006
9 Tout le sport, France 3, 30/11/ 2006
10 Chiffre reccueilli par HAGET Henri dans l’article, « Myriam dollar baby », l’Express.fr
11 Tout le sport, France 3, 31 décembre 2012
12 Créés en 1987, par le boxeur Jean-Claude Bouttier, les Gants d’Or récompensent le meilleur boxeur de l’année. Lors de la cérémonie des Gants d’or, différentes distinctions sont remises aux pugilisties en fonction de leurs résultats sportifs, notamment le Gant d’éclat et le Gant d’or