Articles récents \ Monde Marches exploratoires pour la sécurité des femmes dans l’espace public: l’Amérique Latine nous inspire
Le 25 novembre, nous vient des mouvements féministes d’Amérique Latine, mais comme le chocolat, les pommes de terre et les tomates, on les a intégrés et on en a oublié l’origine. Les latino-américaines continuent cependant à nous inspirer…
Lors de la septième conférence du Forum Urbain Mondial organisé par les Nations Unies à Medellín du 5 au 11 avril 2014, le réseau latino-américain Femme et Habitat (1) a organisé et participé à sept événements autour du genre et de la ville.
Le premier d’entre eux a été une « marche exploratoire pour la sécurité des femmes dans l’espace public », réalisée dans le quartier « Moravia ».
Les marches exploratoires sont des diagnostics participatifs, qui permettent aux femmes d’identifier les mécanismes sociaux, culturels, environnementaux et urbanistiques qui contribuent à les exclure de l’espace public et de la citoyenneté.
Le diagnostic a été préparé par une avocate et une architecte, qui ont mobilisé des femmes des associations du quartier, avec le soutien du Secrétariat aux Femmes de la ville de Medellín.
Le quartier Moravia s’est construit sur une ancienne décharge, une « montagne » d’ordures entourée d’un bidonville. Situé près du centre ville, ces terrains ont été convoité par la mafia (Pablo Escobar y recrutait des tueurs à gage), par les promoteurs et par les municipalités successives. Mais ses habitant-e-s se sont accroché-e-s et ont construit leurs logements et leurs réseaux. Au milieu des années 80, Moravia est devenu un exemple international de programme de réhabilitation et de concertation entre les habitant-e-s et la municipalité. Celle-ci avait même inventé une monnaie parallèle qui permettait aux occupant-e-s de légaliser la terre en payant en journées de travail physique ou communautaire.
Les organisations de femmes y ont joué un rôle très important, elles connaissent donc particulièrement bien leur territoire. Les associations de femmes se sont réunies pour un pré-diagnostic, appuyé sur un outil, la cartographie sociale. Parmi les problèmes détectés et localisés sur les cartes, elles ont mentionné les vols et agressions, l’occupation de l’espace public par des consommateurs de drogue, les viols et agressions sexuelles, le harcèlement sexuel de rue, le recrutement de mineurs par les groupes armés divers (délinquance commune, bandes armées paramilitaires ou proches de la guérilla) ou leur induction à la consommation d’alcool et de drogue, les féminicides et la traite des jeunes filles. Elles ont identifié les agresseurs : des groupes armés, des trafiquants, des proxénètes, des hommes de tous âges.
Les femmes ont repéré les parcours et espaces qui leur posent problèmes et les faits que les autorités ne recensent pas : le harcèlement de rue, les espaces mal éclairés, les rues sans nomenclature, la « barrière des regards » des hommes à certains carrefours, tout ce qui rend mal à l’aise et freine leur liberté de circulation. Elles ont échangé leurs expériences et se sont rendues compte que leur sentiment d’insécurité n’était ni imaginaire, ni naturel.
Elles ne sont pas, par nature, des « personnes vulnérables », mais elles ont été éduquées à rester à la maison et à percevoir l’extérieur comme dangereux. La violence est réelle et les femmes doivent l’affronter pour réaliser leurs activités. Certains hommes se chargent de le leur rappeler avec insistance, rien qu’en les apostrophant ou par des paroles et gestes déplacés dans les transports en commun… Les femmes connaissent cela partout.
Participer à faire la ville
Elles en ont identifié les effets suivant sur leur vie de femmes : perte de dignité et d’autonomie, sentiment de vulnérabilité et d’insécurité, détérioration de la vie personnelle et de la vie familiale, risque de prostitution pour les filles adolescentes et de consommation de drogue pour les garçons, et surtout un enfermement croissant par peur d’être victime de ces problèmes. Puis elles sont parties sur le terrain, et se sont réparties en six groupes, armés d’un questionnaire qui leur a permis de décrire objectivement dans chaque lieu les événements ou situations qui contribuent à leur sentiment d’insécurité et à leur enfermement. Le questionnaire comportait six parties qui leur ont permis d’aborder les aspects physiques mais aussi sociaux et communautaires de la sécurité pour les femmes :
- la signalisation : savoir où l’on est
- la visibilité : voir et être vue
- la fréquentation : entendre et être entendue
- la surveillance et l’accès à un secours
- l’urbanisme et l’entretien, la propreté
- la participation communautaire et la solidarité
Elles se sont ensuite réunies pour élaborer leur diagnostic illustré de cartes et de photos, et rédiger un plan d’actions, qu’elles ont présenté aux autorités municipales et aux participant-e-s du Forum lors d’une séance publique de restitution. Leurs demandes ont concerné, selon le lieu, les points suivants :
- un poste de police mobile aux carrefours stratégiques
- une signalisation adéquate
- un éclairage réparé à plusieurs endroits
- la mobilisation des associations de quartiers, pour que des habitant-e-s et commerçant-e-s se déclarent point d’accueil, afin que les femmes et les jeunes filles puissent recevoir du secours en cas de besoin (dans certains pays, un autocollant est apposé sur la porte)
- un système d’alerte, pouvant être activé en cas de besoin
- des trottoirs et feux rouges sur l’avenue ayant la circulation la plus dense
- l’ouverture d’un « commissariat de famille » dans la zone
- l’amélioration de l’entretien des espaces verts et le retrait des décharges sauvages
- la création d’événements culturels, permettant aux habitant-e-s de se réapproprier l’espace public d’une façon positive
- le suivi conjoint de ce plan d’action par le Secrétariat aux Femmes, les différentes directions de la ville concernées et les organisations de femmes du quartier, afin de convenir des priorités et de la mise en marche du plan.
L’accord a été signé le 5 avril par les autorités municipales, la police, Onu Habitat et Onu Femmes.
Espérons que, comme à Gennevilliers, à Dreux et prochainement dans 10 villes françaises, les marches aident les femmes à affirmer leur citoyenneté et leur volonté de participer à faire la ville en concertation avec les autorités locales.
Marie-Dominique de Suremain 50-50