DOSSIERS \ Femmes palestiniennes : la longue marche vers l'égalité économique \ Monde PORTRAIT: Sawsan, la force tranquille de la jeunesse palestinienne
Elle n’a que 26 ans, mais assure avec brio une délicate mission d’assistance psychologique auprès des femmes de la région d’Hébron, au sud de la Cisjordanie. Rencontre avec une jeune militante qui a su gagner la confiance de ses aînées, pourtant bien plus traditionnelles qu’elle.
À regarder Sawsan, le regard clair, les yeux rieurs et le ton enjoué, on a du mal à réaliser que cette jeune Palestinienne de 26 ans assure une mission si difficile et si stressante. Voilà neuf mois, cette diplômée en psychologie de l’université d’Hébron a été embauchée par la PWWSD (Palestinian Working Woman Society for Development), l’une des principales organisations de défense des femmes en Palestine, pour assister les femmes de la région.
« Les Palestiniennes souffrent beaucoup. À cause de l’occupation israélienne, bien sûr, mais aussi du manque de travail et de la pauvreté » assène d’emblée Sawsan, dans un large sourire. Sur les murs de son petit bureau de Yatta, à une vingtaine de kilomètres au sud d’Hébron, sont placardées les affiches d’une campagne pour exiger que les femmes qui divorcent ne soient plus chassées de leur domicile. Nous sommes dans l’une des villes les plus traditionnelles de Cisjordanie. 80 % des femmes de Yatta auraient plus de sept enfants, sans compter tous ceux qui meurent à la naissance faute de soins et de médecins en nombre suffisant. « Ici, une femme a un bébé presque chaque année » poursuit Sawsan. « La plupart rentrent à la maison sitôt après avoir accouché car elles doivent s’occuper du mari, des autres enfants, de la cuisine… »
Présente lors de l’entretien, sa sœur Jihan, 28 ans, sert de traductrice. Elle est mariée, et son époux travaille comme conducteur de camions en Israël, où il reste en continu pendant une à deux semaines. Elle a déjà quatre enfants, dont des triplés, et affirme ne pas en vouloir plus. « Ma belle-mère en a 13 ! » Sawsan, elle, n’est pas encore mariée, se sent « plus libre ainsi », mais rêve d’avoir des enfants plus tard.
« Oh oui, je suis heureuse de travailler ! » lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. Elle est la seule salariée du bureau de la PWWSD à Yatta. Comme il n’y a pas beaucoup de projets de développement économique dans cette région très pauvre, sa principale mission consiste à assister les femmes sur le plan psychologique. « Le principal problème, c’est celui de la relation avec le mari et la belle-famille ». Quand elles se retrouvent au bureau de l’association, les femmes abordent des sujets aussi tabous que la contraception ou le mariage précoce (beaucoup de jeunes filles sont mariées à 15 ou 16 ans). Mais également les problèmes de santé liés aux mariages consanguins. Difficile, en revanche, de discuter librement des questions de viols et d’incestes, même si Sawsan intervient elle-même régulièrement sur ces sujets. Concernant la contraception, elle fait une première sensibilisation avant de passer le relais à d’autres associations, plus à même d’accompagner les femmes en ce domaine.
Se protéger du mari dans sa tête
« C’est un travail très stressant », admet Sawsan, précisant qu’elle se sent parfois « très triste en voyant ce que vivent les femmes qui viennent me voir ». Certaines ne savent pas où se trouve son bureau, alors elle n’hésite pas à aller à leur rencontre en taxi. « Le centre commence tout de même à être bien connu grâce au bouche-à-oreille ». Sawsan va régulièrement en parler dans les collèges et lycées, ainsi qu’au club de femmes de Yatta. « Avant moi, il y avait une psychologue assez autoritaire, alors les femmes n’osaient pas s’exprimer… Maintenant, elles ont confiance en moi, viennent pour parler ou juste passer un bon moment ». Certains hommes s’opposent même à ce que leur épouse sorte du domicile pour aller au centre. Alors, il faut ruser : des femmes viennent en cachette, aux heures où le mari travaille ; d’autres appellent Sawsan pour lui demander au téléphone de l’aide et des conseils… sans même donner leur nom. La jeune salariée associative donne des cours sur « comment se protéger du mari dans sa tête ».
Une fois par mois, une réunion de tous les salariées de la PWWSD se tient au siège de l’organisation, à Ramallah. « À chaque fois, j’y fais un rapport sur mes activités. Et je peux parler de mes difficultés ». Parfois, l’équipe centrale de l’ONG vient à Yatta pour lui donner un coup de main sur le plan du management. Ainsi, elle est venue accompagner la mise en place d’activités de broderie et de maraîchage : la vingtaine de femmes qui y participent peuvent vendre leurs produits et gagner ainsi un peu d’argent. « Après, on ne sait pas ce qu’elles en font : si elles le gardent pour elles ou si elles le donnent à leur mari ! » précise Sawsan.
D’où lui est venue sa sensibilité féministe ? La jeune Palestinienne reconnaît que son père et sa mère étaient « très ouverts d’esprit » en ce qui concerne la place des femmes dans la société. « Ils n’ont pas été éduqués, mais tous mes frères et sœurs ont fait des études. » Depuis, l’université d’Hébron ne cesse de se développer, et les familles, même les plus traditionnelles, sont de plus en plus enclines à y envoyer les jeunes filles. L’éducation : c’est là, Sawsan le sait, que réside le principal facteur d’espoir pour la société palestinienne. Et notamment pour les femmes.
Philippe Merlant 50-50