DOSSIERS \ Femmes palestiniennes : la longue marche vers l'égalité économique \ Monde PORTRAIT: Neda Abu-Zant, syndicaliste et féministe

Elle est la première femme à avoir été élue au syndicat palestinien des transports et s’est portée volontaire pour coordonner sur place le Réseau des femmes arabes. Portrait de Neda Abu-Zant, militante chaleureuse et débordante de vie.

« La femme palestinienne a le courage d’être debout face à l’occupation israélienne et à la société masculine. Mais si on lui donne des opportunités, elle sera un modèle pour toutes les femmes du monde ». En deux phrases, Neda Abu-Zant a résumé sa raison d’être, sa manière de voir le monde, le sens de ses combats. Militante ? Bien sûr que cette femme de 36 ans l’est. Mais ce qui frappe à première vue, c’est plutôt son regard clair et généreux, son humour, sa gaieté, son sens de la convivialité et de l’accueil…
Ses études de travailleuse sociale, où elle a découvert avec passion la sociologie, ont été pour beaucoup dans la construction de sa conscience de militante, et de femme. Mais toute petite déjà, elle pensait qu’elle pourrait « faire exactement les mêmes choses qu’un garçon ». A l’université, elle se classe régulièrement à la première place, alors qu’elle a déjà un enfant. Et son mari, mort d’une grave maladie des reins voilà un an, ne lui a guère mis de bâtons dans les roues.
Solidaire du combat de tout son peuple, elle n’en n’oublie pas pour autant de dénoncer « la société masculine » dans laquelle elle vit. Cette culture qui « place les hommes et les femmes dans des rôles différents » jusqu’à confiner les secondes « à la maison ». Mais Neda, qui affirme « croire à l’égalité des hommes et des femmes pour accéder à l’emploi et exercer des responsabilités », n’oublie pas le rôle joué par les femmes elles-mêmes dans la transmission et la perpétuation d’une culture patriarcale. « Nous sommes mères, beaucoup d’entre nous sont enseignantes… c’est donc à nous qu’échoit l’essentiel de l’éducation ! Alors pourquoi certaines continuent-elles de dire aux garçons qu’il ne faut pas pleurer car un homme ne pleure pas ? »
Elle estime que beaucoup de femmes, même éduquées, ne sont pas conscientes de leurs droits et ne cherchent pas à les faire valoir. Ainsi certaines ne revendiquent pas leur part d’héritage « alors que l’inégalité dans le partage de l’héritage est illégale ». D’autres ne se rendent pas compte qu’elles subissent des violences anormales, dans cette société où « 30 % des femmes sont victimes de violences de la part de leur mari » et où « une femme peut être tuée si elle a des relations amoureuses et sexuelles en dehors du mariage ». Neda s’est elle-même engagée au sein de l’Association de défense des familles, qui accueille les femmes victimes de violences, avec une équipe de travailleuses et  travailleurs sociaux, de psychologues et d’avocat-e-s, afin de « briser le mur du silence ».
En Palestine, l’inégalité reste la règle, même si elle n’est pas inscrite dans la Loi. « Être une femme divorcée est très difficile ici », admet Neda qui salue le courage de sa consœur et amie Basma Al Battat, membre du conseil exécutif de la Palestinian General Federation of Trade Unions (PGFTU), qui n’a pas hésité à le faire. Même une veuve est supposée « s’enfermer chez elle et ne rencontrer personne pendant quatre mois » alors qu’un homme peut se remarier deux mois après la mort de son épouse ! Mais Neda, après la mort de son mari, s’est elle-même affranchie de ces obligations : « La société est ce que nous décidons d’en faire ! Nous ne pouvons faire les choses que par petits pas, mais il faut commencer par la famille, car c’est la cellule de base de la société. »
L’occupation israélienne ne facilite pas les choses, surtout pour les femmes. « Quelquefois, nous restons des jours et des jours sans pouvoir sortir de chez nous », comme ce fut le cas lors de la deuxième intifada, particulièrement violente à Naplouse. Et cette guerre multiplie les traumatismes, propices à la perpétuation de la violence masculine : « Quand un garçon voit son père tué sous ses yeux, comment voulez-vous qu’il ne devienne pas violent lui-même ? »
Neda a été la première femme élue au comité exécutif du syndicat national des transports, un secteur d’activité où les hommes, chauffeurs de bus notamment, sont prédominants. « Si vous voulez changer les choses dans notre société, les transports sont quelque chose d’essentiel, car tout le monde circule avec les conducteurs. Un conducteur intelligent et éduqué peut donc former les gens autour de lui », affirme-elle. Et Neda d’ajouter, sans forfanterie, que son élection représente « le début d’un grand changement » dans la société et le monde du travail en Palestine.
Les années 2002-2003, suite à la deuxième intifada, ont été un désastre pour les transports, et même pour toute l’économie palestinienne, car de nombreux convois ont été supprimés : « Il fallait parfois huit heures pour passer les check-points, et certaines marchandises arrivaient hors délais. » En 2004, Neda cherche de nouvelles méthodes pour organiser les syndicats. L’année suivante, alors qu’elle travaille comme secrétaire dans une entreprise de bus, elle se présente aux élections syndicales. « Comme j’avais aidé les conducteurs à mener une grève qui leur a permis d’obtenir une augmentation des salaires, ils ont sans hésiter voté pour moi ! Il faut dire que c’est un secteur qui fonctionne de manière assez démocratique. » Elle se met alors en quête d’un projet à développer et rencontre les initiateurs du « Swedish Project », soutenu par le gouvernement suédois. Avec leur appui, elle monte dans cinq villes de Cisjordanie un programme de formation-conscientisation des travailleurs/travailleuses , afin d’avoir plus de syndicalistes.
A l’automne 2012, elle a aidé à l’organisation d’une nouvelle grève, dans les bus, les taxis et les taxis collectifs, pour protester contre l’augmentation du prix des carburants et des produits de base alors que les salaires stagnaient. « La grève a paralysé les plus grandes villes, le gouvernement a accepté de négocier, il a réduit le prix de l’essence mais pas assez à notre goût », commente Neda.
Le « Swedish Project », dont Neda est devenue la coordinatrice, a été un succès, permettant notamment à plus de femmes d’entrer dans les syndicats et d’y exercer des responsabilités. Quand le réseau des femmes arabes (en anglais Arab Women Network, AWN), lancé par la Confédération internationale des syndicats, a vu le jour, elle y a vu le prolongement de sa propre action et s’est tout de suite portée volontaire pour participer aux réunions internationales. « L’idée me paraissait intéressante, mais, dès la deuxième réunion, il a surtout été question des révolutions arabes. Notre occupation dure depuis plus de 60 ans, et nous n’attendons pas grand chose des révolutions arabes. Le printemps, ici, ce serait surtout pour virer Israël et le Hamas ! »
Elle n’a aucune sympathie pour les islamistes, qu’elle combat pied à pied. Mais elle sait à l’occasion se montrer solidaire avec eux. Cet après-midi là, après l’entretien, elle est allée saluer l’un eux, tout juste libéré des prisons israéliennes après 168 jours de grève de la faim. « Nous les combattons idéologiquement. Mais nous leur apportons notre solidarité quand ils sont victimes de la répression israélienne. »
Le soir, rendez-vous chez elle pour une tablée très conviviale. Avec sa fille, pétillante d’intelligence. Avec sa voisine ukrainienne, balbutiant quelques mots de français. Avec Wafa, travailleuse sociale dans un projet soutenu par la municipalité et visant à « apprendre aux femmes à ne plus avoir peur ». Wafa nous a donné un bon exemple de cette pédagogie en éclatant de rire quand son mari, furieux, l’a appelé au téléphone parce qu’il avait oublié ses clés et qu’elle n’était pas à la maison ! Une soirée toute en rires et en complicité, malgré la dureté du quotidien à Naplouse. Comme tant d’autres Palestiniennes, c’est pour la vie que Neda se bat.
Philippe Merlant 50-50

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