Contributions Le combat d’une avocate féministe emprisonnée : l’emblème d’un Iran qui résiste à la répression
Lauréate du prix Sakharov 2012 du Parlement européen, remis en octobre dernier, Nasrine Sotoudeh, avocate iranienne et militante infatigable des droits humains et de la liberté des femmes, également connue pour avoir défendu plusieurs prisonnier-e-s politiques, connaît elle-même la prison politique depuis le 4 septembre 2010. Elle purge actuellement une peine de 6 ans d’emprisonnement en raison de ses activités humanistes.
Mère de deux enfants de 3 et 12 ans, elle a entamé le 17 octobre dernier une grève de la faim pour dénoncer ses conditions de détention et le harcèlement dont sa famille est victime. L’interdiction de sortie du pays imposée à sa fille a déclenché cette longue grève de 49 jours à laquelle l’avocate n’a mis fin qu’après le recul du Gouvernement et la levée de la sanction. Certains peuvent se demander pourquoi avoir mis sa vie en danger pour une interdiction de sortie du territoire. Mais, quand on connaît la situation iranienne, on sait très bien que cette interdiction n’est que l’un des signes extérieurs d’une pression constante exercée sur les familles des prisonnier-e-s politiques. Cette pression peut aller très loin, jusqu’à des menaces d’arrestation et de torture des proches, et éventuellement être mise à exécution. Dans une lettre ouverte aux personnes qui la soutiennent, elle revient sur la signification de son acte en précisant qu’il s’agissait de dénoncer ces pressions dont toutes les familles de prisonniers politiques sont victimes.
Une militante des droits des femmes, symbole de la résistance
En effet, l’Iran qui était à la Une des médias en 2009 alors que des millions d’Iraniens manifestaient et criaient « à mort la dictature » dans la capitale et tous les coins du pays, connaît depuis de nouvelles vagues d’arrestation des opposants au pouvoir islamiste. Depuis 1979, ce pouvoir remplit les prisons de prisonnier-e-s politiques. Depuis 33 ans, les générations de prisonnier-e-s politiques qui se sont succédées, symbolisent une résistance qui n’a jamais cessé d’exister. La figure de Nasrine Sotudeh jette la lumière sur cette réalité qui reste trop méconnue.
Qu’une avocate de prisonnier-e-s politiques se voit enfermée démontre clairement l’ampleur de la répression politique en Iran. Qu’une militante des droits des femmes devienne le symbole de la résistance en Iran nous parle d’une double réalité significative.
Les violences et discriminations sexistes symbolisent l’ensemble de la répression sociopolitique en Iran. Le pouvoir islamiste, en instrumentalisant la religion, sacralise les violences et les discriminations. La répression politique se dédouble par la légitimation des violences et discriminations envers les femmes, envers les populations d’appartenances ethniques diversifiées (Kurdes, Turques, Turkmènes Baloutches, Arabes) et religieuses (zoroastriens, bahaïes, soufis, sunnites, chrétiens, juifs…). Au sein des populations d’appartenance chiite, au-delà de la répression soutenue des femmes, tout éloignement de l’islamisme est considéré comme un délit et toute opposition assimilée à du blasphème.
Les mille et un visages de la résitance
Le bataille de Nasrine Sotoudeh en prison représente ainsi la résistance multiforme existante en Iran : la résistance des femmes qui se rebellent quotidiennement en ne se soumettant pas aux diktats des gouvernants sur le port du voile obligatoire (l’une des accusations que portent les autorités envers Nasrine Sotoudeh est qu’elle ne respecte pas le voile) ; et la résistance des jeunes qui continuent par tous les moyens d’exprimer leur opposition au système, tout en acceptant les dangers de cette liberté. La réclusion à domicile imposée à Jafar Panahi, le grand cinéaste iranien, en témoigne.
Le fait que les gouvernants ne lèvent la pression sur la fille aînée de Nasrine Sotoudeh qu’après une grève de la faim de 49 jours, qui menaçait sa vie chaque jour un peu plus, et une forte mobilisation internationale, en dit long sur la ferme volonté du Régime de réprimer toute opposition et d’étouffer toute voix discordante. Sattar Beheshti, le bloggeur de 35 retrouvé mort en prison le 3 novembre dernier, en parle dans le dernier billet qu’il a publié avant d’être arrêté. Il y dénonçait les pressions qu’il subissait quotidiennement et les menaces : « Pas plus tard qu’hier, ces agents m’ont annoncé que ma mère devrait bientôt revêtir ses habits de deuil. « Tu devrais fermer ta gueule », m’ont-ils averti. « Je n’en ai pas besoin », leur ai-je répondu. « Tu es trop bavard », ont-ils objecté. « J’écris juste ce que je vois et entends », ai-je insisté. « Nous ferons de toi tout ce dont on a envie », ont-ils poursuivi. « Mais tu la fermeras pour de bon, ou alors pour toujours, dans l’anonymat le plus total ! Sans que personne ne sache ce qu’il t’est arrivé. »
Sattar Beheshti a répondu à ces menaces à travers son blog : « Je ne resterai pas silencieux, peu importe où je serai conduit ».[1]
Oui, il existe, cet autre Iran qui ne se laisse pas bâillonner. Il a mille et un visages qui se dévoilent dans le combat de Nasrine Sotoudeh.
Chahla Chafiq
Voir la vidéo sur la situation de Nasrine Sotoudeh : http://youtu.be/CJ4GUXhZSA8
[1] Voir la traduction du dernier billet du blog de Sattar Beheshti :
http://www.lepoint.fr/monde/j-offre-ma-vie-a-l-iran-12-11-2012-1528010_24.php