Livres « Prison intime » : vivre dans l’enfer du viol
Lire le viol est presque dérangeant, mais bien moins douloureux que de le vivre. Dans son dernier roman, l’écrivaine Anne-Zoé Vanneau nous livre le récit bouleversant d’une jeune femme abusée sexuellement.
Parce qu’elle a croisé leurs regards ce jour-là, Adèle L., a sombré dans un coma éveillé. Anéantie, brisée, et à tout jamais souillée par ces étrangers qui ont cru qu’une femme n’était qu’un «trou béant », la vie est devenue pour la jeune femme une prison à ciel ouvert.
Anne-Zoé Vanneau qui habituellement se consacre à l’écriture pour la jeunesse, s’est lancée dans le récit intime des stigmates du viol. Une blessure qui n’est pas seulement physique pour la jeune Adèle, puisque les conséquences de ce drame marquent inexorablement le cours de la vie d’une personne.
Derrière la pudeur de l’écriture, se cache la violence du quotidien qu’Adèle doit affronter. Alors qu’elle rentrait chez elle, les violeurs l’ont suivie puis pris au piège à l’entrée de son appartement. Une intimité violée complètement puisqu’Adèle n’a eu d’autre choix que de subir ces atrocités dans son domicile. Elle se réveille, « le sexe meurtri », le corps en lambeaux comme une « vulgaire poupée de chiffon ».
« Mon corps inondé de sperme et de bière me fait l’effet d’un pantin gluant, désarticulé, qui passe de l’un à l’autre. Ma chaire écartelée, sanguinolente, est ensevelie sous des coulées visqueuses, épaisses, âcres. Les minutes sont des heures qui s’étirent, élastiques ».
Derrière le « je », la romancière s’efface pour amplifier la violence de l’acte qui au fond ne constitue qu’une dizaine de lignes. Mais le réveil sur le lit laisse place à une terrible rage, une envie irréversible de faire disparaître les témoins matériels d’un crime. Le lit est démonté, jeté par la fenêtre devant les yeux des passants interloqués, les sous-vêtements, le linge de maison sont tour à tour brûlés et jetés dans des sacs poubelles.
La descente aux enfers ne fait que commencer. Vivre dans le mutisme, s’écarter des autres, purger son corps à coups de plusieurs litres de thé par jour pour unique nourriture sont désormais le quotidien d’Adèle.
Les mots sont durs à lire mais expriment parfaitement ce qu’un viol peut engendrer. Le livre rappelle la difficulté des victimes à s’exprimer et à se confier à la suite d’un tel traumatisme. Porter plainte : oui mais contre qui ? Comment être sûre que l’on nous croit ? Autant de questions que se pose Adèle mais auxquelles elle ne souhaite pas donner de réponse publique de peur de « revivre le drame ».
À la lecture de ce livre, on pense forcément au verdict du procès des viols collectifs de Créteil. Le cri d’injustice semble d’autant plus fort quand on nous décrit des scènes ignobles, où le sexe devient un moyen de pouvoir, d’humiliation et de domination.
M C – EGALITE
Anne – Zoé Vanneau, Prison intime, éditions complicités, 2012, 15€.