Culture Forte comme une turque !
Haltères, rugby, marteau… Des sports qu’on conjugue rarement au féminin. C’est pourtant vers ces pratiques que la metteuse en scène Judith Depaule s’est tournée pour aborder le thème du corps des femmes dans le sport. Sur ce sujet, si rarement abordé, elle présente demain à Paris la dernière partie d’une trilogie « Corps de femme », avec une œuvre axée sur l’haltérophile Nurcan Taylan, première sportive turque à avoir remporté l’or olympique en 2010. Elle y interroge avec brio la question du genre et de la sexuation de nos comportements.
Pourquoi ce travail sur les sportives ?
J’ai toujours été fascinée par l’halthérophilie : enfant, je guettais leur compétition lors des retransmissions télévisées ! Mais j’ai surtout choisi ce sujet car après avoir été élevée par une mère soixante-huitarde, et avoir cru que tout avait été gagné pour les filles, je me suis rendu compte à l’âge adulte que ce n’était pas vrai ; je suis par ailleurs passionnée par les sportifs et le dépassement de soi qui leur est demandé. Alors comment ne pas tourner mon interrogation d’artiste vers ces efforts et les questions qu’ils posent à la féminité traditionnelle ?
En 2008, j’ai abordé le lancer de marteau avec une championne polonaise, Kamila Kolimowska, puis, en 2010, j’ai rencontré deux équipes françaises de rugby féminin. Aujourd’hui, c’est avec une Turque que je travaille. Je construis mes spectacles à partir d’interviews et de vidéos. J’aurais pu choisir la boxe, mais elle a déjà inspiré beaucoup d’œuvres, des films ou des documentaires. Les sports que j’ai choisis remettent véritablement en question les stéréotypes : on dit par exemple que ces sportives sont laides, difformes, immondes, même ! Ce que je montre se trouve ainsi dans une zone qu’on veut ignorer, dont on n’aime pas parler ; or le sport est le monde du corps et il me semble très utile pour briser ces stéréotypes
Pourquoi avoir été enquêté en Pologne ou en Turquie ?
Cela dépend en effet des pays. Le marteau et l’haltérophilie sont plus pratiqués par des femmes des pays de l’Est, de Cuba ou de Chine tandis qu’en France, la fédération d’athlétisme ne met pas assez en avant les filles, sauf pour la course. Ce qui m’a intéressée, c’est que ces sportives, qui vivent dans une solitude hallucinante – à la différence du rugby où l’équipe peut former une « famille » – traversent des épreuves très fortes qui leur donnent sur la vie un regard unique.
Vous accompagnez souvent vos spectacles de débats, dans quel but ?
En tant qu’artiste, on pose des questions, on ne donne pas de réponses ! Or ce que je mets en lumière interroge le rapport à l’autre sexe. Il s’agit d’essayer de comprendre les mécanismes du genre, et les notions floues ou absurdes de la masculinité/féminité. Cela provoque souvent des réactions épidermiques chez les spectateurs qu’il est bon d’analyser ensuite. Je fais donc venir des chercheurs, des universitaires : après ma pièce sur le rugby, j’ai par exemple donné la parole à une sociologue spécialiste de ce sport, Hélène Joncheray. Elle a essayé de démontrer l’à priori de violence qui entoure le sport. Mais j’aime aussi montrer mes spectacles à des classes de collégien-ne-s ou de lycéen-ne-s, afin de changer leur regard sur leurs relations à la fois à leur propre corps et à l’autre sexe. J’ai même animé des ateliers avec eux où je les fais écrire avec leurs mots ce qu’ils ressentent. C’est très important, car il y a un gros travail à faire sur les stéréotypes des jeunes !
Si je peux aider à faire évoluer les mentalités, ne serait-ce qu’un petit peu, à briser les frontières entre le sport et le monde de la recherche, qui sont encore très cloisonnés, tant mieux. Pour qu’un jour on ne pense plus, par exemple, que les sportifs sont bêtes et peu cultivés, et pour que les femmes osent, en choisissant le sport qu’elles souhaitent, dire que leur corps leur appartient !
Moïra Sauvage – EGALITE
CORPS DE FEMME 3 – « les haltères »
Confluences du 29 sept. au 2 oct. 2012 à 20h30 (dim. à 18h30)
190 boulevard de Charonne, 75020 PARIS
Plus d’infos ici.