Société Martin Winckler : « La médecine m’a apporté les arguments de mon engagement »
Marc Zaffran a été médecin généraliste de 1981 à 1993 en milieu rural, dans la Sarthe. Il a travaillé dans un centre de planification (IVG, contraception) à l’hôpital du Mans entre 1983 et 2008.
Depuis début 2009, il vit à Montréal, au Québec, où il va bientôt reprendre le même type de pratique.
L’écrivain Martin Winckler a écrit notamment La Vacation, Les Trois Médecins et Le Chœur des femmes.
Nous avons interviewé cette même et unique personne sur son double engagement médical et littéraire.
—
—
Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager en faveur des femmes ?
Ma personnalité, sans doute. Et puis une histoire familiale, et le sentiment général – familial lui aussi – que les hommes et les femmes étaient différents, mais solidaires et égaux.
Vous prônez dans vos écrits une médecine plus humaine. Qu’est-ce qui vous gêne dans la pratique de la médecine, et concernant particulièrement les femmes ?
Je le dis précisément dans Le Chœur des femmes : les médecins se pensent supérieurs aux non-médecins, et encore plus supérieurs aux femmes parce que ce sont des femmes. C’est très vrai en France et en Italie, moins dans les pays scandinaves et anglo-saxons.
Dans La Vacation, Les Trois Médecins et Le Chœur des femmes, vous abordez pour une grande part la pratique de l’interruption volontaire de grossesse. Vous êtes-vous engagé en faveur de la légalisation de l’IVG ?
Oui, quand j’étais étudiant, j’étais engagé en faveur de l’IVG, et j’ai manifesté et écrit là-dessus. L’IVG est devenue légale en 1975, et j’ai commencé à en faire en 1983, jusqu’au milieu des années 2000.
J’ai toujours été ouvertement favorable à l’IVG. Quand je suis devenu un écrivain connu et que j’étais interviewé par des médias catholiques, par exemple, on ne m’a jamais pris à parti parce que ma position n’est pas en soi pro-IVG, elle est centrée sur la protection des femmes.
Je rejoins l’opinion des Néerlandais, qui disent : « Nous détestons tellement l’IVG que nous faisons tout ce que nous pouvons pour éviter aux femmes d’y avoir recours en leur donnant toutes les contraceptions disponibles. »
Ma position est exactement celle-là : si on donne aux femmes les moyens de ne pas être enceintes contre leur gré, on diminuera le recours à l’IVG. Donc fondamentalement, je ne suis pas pour l’IVG, je suis pour la liberté des femmes de se protéger contre des grossesses non désirées, l’IVG étant le dernier recours.
Vous tenez depuis plusieurs années un blog sur la gynécologie, la contraception et la sexualité. La médecine ne répond-elle pas aux besoins des femmes ?
Si j’en crois le nombre de sites, de blogs et de forums où les femmes cherchent des réponses à leurs questions, manifestement, les médecins ne font pas leur boulot.
J’ai aussi publié deux livres sur la contraception qui sont devenus des ouvrages de référence pour les médecins, les journalistes et les femmes. J’ai également collaboré à la conception du site officiel Choisirsacontraception.fr et participé à de nombreuses émissions sur le sujet.
Si les médecins spécialistes répondaient à ces besoins, je ne serais pas en première ligne…
Dans Le Chœur des femmes vous décrivez un centre de soins pour les femmes fictif… En quoi consisterait une bonne médecine pour les femmes ?
Une bonne médecine pour tout le monde, pas seulement pour les femmes, serait une médecine dans laquelle les soignants œuvrent ensemble, et non en compétition.
Une médecine où les investissements en personnel répondent aux besoins ; où les professionnels sont formés à une relation de soins qui réfute tout rapport de pouvoir ; où les patients définissent eux-mêmes leurs besoins et font des choix avec le soutien des soignants, même si ces choix sont « mauvais »…
En France, des associations dénoncent régulièrement, et plus récemment des mutuelles, un recul de l’accès à l’IVG et à la contraception. Qu’en pensez-vous ?
Qu’elles ont raison. L’IVG devient plus difficile parce que les médecins qui en font sont mal payés, ou parce que les généralistes sont remplacés par les gynécos, qui font les IVG après tout le reste.
Je pense que les IVG devraient être faites par des médecins qui se consacrent à ça et qui seraient très bien rémunérés, dans des centres où l’on développe au maximum les consultations de contraception et de gynécologie courante. C’est loin d’être le cas.
Si vous n’aviez pas pratiqué la médecine, pensez-vous que vous vous seriez engagé d’une autre manière en faveur des femmes ?
Je ne peux pas répondre avec certitude, mais oui, je pense que je me serais engagé de la même manière. Le fait d’être médecin m’a apporté des outils et des arguments, et puis une expérience, mais il n’a pas été la cause de mon engagement.
Vous dites-vous féministe ?
Je ne crois pas être féministe, je suis humaniste. A mes yeux tous les êtres humains ont la même valeur car je ne suis pas apte ou habilité à dire le contraire.
Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE
Article déjà publié le 30 décembre 2011, dans le cadre de notre dossier Les hommes, des féministes comme les autres, à (re)découvrir.
—