Environnement : les enjeux des inégalités de genre Au croisement du féminisme et de l’écologie : l’éco-féminisme
Quand on parle d’éco-féminisme en France, on lie deux mouvements : l’écologie politique et le féminisme qui, bien qu’ayant des racines antérieures, ont jailli dans le bouillonnement engendré par mai 1968. Pour ce mouvement, le comportement de domination et d’oppression des femmes est le même que celui qui contribue au saccage universel.
Françoise d’Eaubonne, qui fonde le courant Ecologie et féminisme, en 1978, utilise ce concept pour la première fois en France en 1974 dans son livre Le féminisme ou la mort (1). Ce dernier provoqua dérision et critiques, notamment celle d’avoir accolé deux concepts modernes qui n’avaient rien de commun. Au Congrès mondial sur la population de Bucarest en 1974, des femmes du Sud allèrent jusqu’à affirmer que «l’éco-féminisme est une déviation contribuant à affaiblir la lutte des classes». (*)
Pour Françoise d’Eaubonne, décédée en 2005, «le drame écologique découle directement de l’origine du système patriarcal», que l’on peut rapporter à deux faits qui se sont produits au début du néolithique : «L’appropriation par les hommes de l’agriculture et la découverte du processus de la paternité, deux ressources – l’agriculture et la fécondité –, qui appartenaient aux femmes.» (2) Or, dans la période actuelle, la population mondiale croissante doit vivre de ressources qui vont en diminuant, ce qui est, pour elle, la conséquence directe des deux révolutions fondatrices du système patriarcal mis en exergue dans ses travaux.
Quant au féminisme, elle l’identifie au concept d’humanisme : «Jusqu’ici, les luttes féministes se sont bornées à démontrer le tort fait à plus de la moitié de l’humanité, le moment est venu de démontrer qu’avec le féminisme, c’est l’humanité entière qui va muer.» C’est pourquoi le féminisme, en libérant les femmes, libère l’humanité toute entière. «Il est ce qui colle le plus près à l’universalisme. Il est la base même des valeurs les plus immédiates de la vie et c’est par là que se recoupent le combat féministe et le combat écologique.» (3)
Des actions collectives de femmes contre la dégradation de leur environnement
Pour l’écrivaine et militante féministe, il est temps d’opérer un rapprochement, voire une synthèse entre ces deux combats menés jusqu’ici séparément : celui du féminisme et celui de l’écologie planétaire.
Françoise d’Eaubonne prétend démontrer que «seule une mutation de l’humanité entière peut stopper cette dégradation» et cette mutation ne peut être l’œuvre que des féministes engagées, car pour les féministes «arracher la planète au mâle d’aujourd’hui, c’est la restituer à l’humanité de demain». (3) Il importe donc de mettre au banc des accusés la domination sous toutes ses formes avec tout ce qui en découle, «le phallocratisme, le sexisme, le patriarcalisme d’une part, la destruction de l’environnement, la consommation pour les profits, d’autre part». (4) L’éco-féminisme pour Françoise d’Eaubonne est donc bien une vision alternative de la société.
Des actions collectives de femmes contre la détérioration de leur environnement se sont amplifiées depuis plusieurs années à l’échelle de la planète confirmant «qu’elles sont nombreuses à partager la même colère, la même inquiétude et le même sens des responsabilités quant à la préservation des bases de la vie qu’elles soient environnementales ou sociales». (4) Ainsi, la pertinence écologique de la « vision féminine » du monde ne serait plus à prouver.
Une vision universaliste du monde
Concrètement, ces mobilisations touchent à la problématique rurale et aux réformes agraires (les femmes ont un accès moindre à la propriété et au droit d’usage à long terme) ; à la non-reconnaissance des menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire (alors qu’elles se trouvent à tous les échelons de la filière alimentaire) ; à la santé environnementale (elles s’organisent face aux catastrophes nucléaires) ; aux enjeux urbains (liés à l’approvisionnement en eau potable et les conséquences de la pollution de l’eau) ; à l’énergie (face aux exploitations pétrolières)…
Autant de combats qui transcendent leurs différences nationales, culturelles ou de classes, et où l’unité des actions des mouvements de femmes et des mouvements féministes organisés en réseaux se développe notamment depuis la Conférence mondiale de Pékin sur le statut des femmes en 1995 pour s’en nourrir mutuellement et élargir les perspectives des luttes transnationales en réponse à la mondialisation patriarcale.
La vision dite «féminine» du monde n’est pas obligatoirement une «vision féministe du monde» ; il y a différentes manières en effet d’intégrer les questions de développement durable et d’environnement. En se réclamant d’une vision universaliste du monde, les mouvements féministes français rejettent avec force la notion d’une «nature féminine».
Ainsi, conscientes qu’un éco-féminisme fondé sur l’idée que les femmes sont plus proches que les hommes de la nature – de la Mère-nature – n’est pas une bonne réponse, les organisations féministes françaises du groupe Genre et développement soutenable (5) ont élaboré un document en vue de la conférence mondiale Rio+20 de juin dernier. Cette dernière avait été précédée par la contribution d’ONG féministes françaises au Sommet mondial du développement durable en 2002. (6)
Monique Dental, fondatrice du collectif de pratiques et de réflexions féministes Ruptures
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(*) L’éco-féminisme radical, revue Silence n° 220-221, été 1998.
(1) Le féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne, Pierre Hory Editeur, 1974.
(2) Ecologie et féminisme : révolution ou mutation, éditions L’Harmattan, 1978.
(3) Yvette Laprise, revue québécoise L’autre parole n° 74, 1997.
(4) Ecologie : quand les femmes comptent, Collectif femmes et changements, éditions L’Harmattan, 2003.
(5) Voir les sites d’Adéquations et du réseau féministe Ruptures, ainsi que les bulletins mensuels n° 335-Juin 2012 et n° 336-Juillet-août 2012 de Ruptures.
(6) Femmes pour la qualité de la vie, collectif d’ONG féministes françaises (voir les sites d’Adéquations et du réseau Ruptures).
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