Sport Chantal Jouanno : «Le sport est un domaine encore plus misogyne que la politique»
Sûre d’elle, regard perçant et sourire ferme, Chantal Jouanno est une femme politique hors norme. Celle qui fut ministre des Sports de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui sénatrice tout en restant championne de karaté, est mise en colère par la dévalorisation des femmes, dans le sport comme en politique.
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En ce jour d’ouverture des JO, que pensez-vous de l’acceptation des sportives voilées ?
Je risque d’étonner par rapport à la position de mon clan, la droite, mais il me semble que l’essentiel est que les femmes participent ! Qu’elles puissent jouer et ainsi s’émanciper, s’ouvrir au monde.
Il m’est arrivé, en tant que championne de karaté, de participer à des compétitions où, par tradition, certains pays n’envoyaient que des hommes, ce qui allait également à l’encontre de la règle de la charte olympique, et j’en étais tout aussi choquée…
Donc il vaut mieux participer plutôt qu’être exclues. Mais je comprends que cela choque et qu’il est difficile d’avoir une position très arrêtée sur ce sujet. C’est à nous de faire la part des choses : de veiller par exemple à ne pas aller plus loin, à interdire par exemple une séparation des sexes comme elle existait pour les Noirs autrefois.
Quand au problème du voile, il ne faut jamais oublier que dans notre propre culture occidentale, les femmes portaient aussi il n’y a pas si longtemps foulards et chapeaux pour cacher leurs cheveux… Par contre, je suis très attachée à la laïcité dans notre service public qui permet de garder une neutralité, qui n’exclut personne.
Lorsque vous étiez ministre des Sports, qu’avez vous pu faire pour aider le sport féminin ?
Hélas, malgré mes efforts pour appuyer le financement du sport féminin et en assurer une meilleure visibilité, je me suis rendu compte que rien ne marche ! Le sport est un domaine encore plus misogyne que le monde politique. Il n’existe par exemple en France que sept femmes présidentes de fédération pour cent huit hommes !
Autre exemple : dans le journal L’Equipe, des semaines entières se passent sans qu’aucune championne ne soit citée. C’est dû aux origines militaires du sport qui devait préparer les corps masculins au combat, mais aussi et c’est essentiel, aux médias encore dominés par les hommes. Vous ajoutez les deux et vous avez un cocktail gagnant pour maintenir l’invisibilité des femmes…
J’ai pourtant essayé d’enlever leur financement aux fédérations qui ne développaient pas le sport féminin et n’imposaient pas au moins 30% de femmes dans leurs instances dirigeantes, mais rien n’a marché et mes suggestions ont été abandonnées. Ce n’est pourtant pas une fatalité : regardez l’Allemagne où le foot féminin cartonne !
Vous êtes championne de karaté, qu’est-ce que ce sport vous a apporté dans vos combats politiques ?
Je pratique en effet le karaté depuis l’âge de 9 ans, parce que j’en avais assez de servir de cobaye à mon frère qui en faisait, donc j’ai voulu devenir meilleure que lui !
Ce n’était pas spécialement au début par goût du combat, mais je l’ai maintenant dans le sang. Ce que ce sport apprend, c’est avant tout une détermination et une volonté absolue. Il apprend à franchir les limites, à ignorer les barrières. Du coup, on n’a peur ni du combat ni des autres, ni de s’exposer.
Et lorsqu’on n’a plus peur ni des coups physiques ni des coups moraux, on atteint un équilibre qui est essentiel. Il nous apprend aussi à être tolérant et à comprendre l’échec. Lorsqu’on a perdu un combat, le monde semble s’écrouler, et puis on repart à nouveau. Or ce sont des choses que l’on n’apprend pas à l’école où, au contraire, on ne fait que sanctionner.
Tout cela m’a donné une force, une philosophie de la vie qui me permet aujourd’hui de faire face à l’incroyable déconsidération des femmes que nous affrontons encore en politique : si je suis aujourd’hui persona non grata à l’UMP, c’est parce que j’ai le tort d’être à la fois une femme, jeune et, me dit-on, ingrate ! Ce n’est jamais le cas pour un homme. Lorsque par exemple Jean-Pierre Raffarin dit les mêmes choses que Roselyne Bachelot, personne ne le critique, il est au contraire salué comme un sage ! C’est pathétique…
Propos recueillis par Moïra Sauvage – EGALITE
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