Témoignages Expériences de femmes qui ont avorté : «J’ai été jugée irresponsable et légère»
Près d’une femme sur deux aura recours à un avortement une fois dans sa vie, pourtant près de quarante ans après la loi Veil, l’IVG qui concerne toutes les classes d’âge et toutes les classes sociales, semble toujours mal considérée. Les discours culpabilisants, moralisateurs ou indélicats du corps médical sont encore fréquents : mauvais accueil, commentaires sur l’embryon, sur son cœur qui bat, sermons…
Cinq femmes témoignent.
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« J’avais 28 ans et j’étais déjà maman depuis cinq ans. Je suis tombée enceinte sous stérilet. Je me suis faite avorter in extremis – manque de place – dans un hôpital. J’ai rencontré une infirmière, une psychologue et une gynécologue. Vu les délais, on m’a proposé l’aspiration en anesthésie locale. Je ne me suis pas sentie particulièrement bien accueillie et je n’ai pas eu le sentiment d’être face à des professionnelles formées spécifiquement. L’infirmière était plutôt désagréable, la psychologue accueillante mais incompétente, et la gynécologue à la limite de la maltraitance. Ses propos étaient critiques et blessants et tout au long de l’aspiration, elle a fait des commentaires sur l’embryon. Je suis sortie de l’hôpital très éprouvée. » Emilie.
« J’étais avec mon compagnon depuis trois mois, on ne pouvait pas imaginer avoir un enfant si tôt. Je suis tombée enceinte lors d’un rapport non protégé pendant mes règles, pensant que je n’avais aucune chance d’être féconde à ce moment-là. J’étais accompagnée pour les premières démarches puis seule pour l’intervention. J’ai mal vécu cette intervention, je me suis sentie jugée, prise pour une idiote sans cervelle qui n’avait aucune raison de ne pas maîtriser ses ovaires. A tel point que j’ai avorté deux fois ensuite… » Claire.
« Quand j’ai appris ma grossesse, je suis allée directement à l’hôpital public. J’ai été reçue seulement par un gynécologue qui m’a sermonnée comme une petite fille, pour un oubli de pilule. J’étais dans les délais pour la méthode médicamenteuse, on m’a fait prendre les médicaments à l’hôpital. Nous étions une dizaine de femmes dans la même pièce, allongées sur des lits côte à côte, certaines hurlaient de douleur. Le jour même, je suis rentrée chez moi, seule, à perdre des litres de sang, complètement paniquée. » Héloïse.
« J’ai avorté deux fois. La première fois, j’ai été jugée irresponsable et légère. La seconde fois, je suis retournée au Planning familial, désespérée. La gynécologue que j’ai rencontrée cette fois-ci, ne m’a pas jugée et m’a expliqué, pourquoi je “tombais enceinte hors des clous”. A 32 ans, c’était la première fois qu’on m’expliquait que l’ovulation au 14e jour était une absurdité, et que j’entendais parler d’ovulation spontanée. Elle m’a réconfortée, accompagnée et a exigé une anesthésie générale pour éviter un traumatisme trop violent. » Caroline.
« Nous sommes livrées avec un utérus sans aucune notice. Et au moindre dysfonctionnement, on ne peut pas dire que le service après-vente médical soit très accueillant et compréhensif. A qui la faute ? L’oubli de la pilule ? La rupture du préservatif ? Le stérilet inefficace ? Une ovulation spontanée ? Seule face au corps médical, on vous juge incapable et inconsciente. J’apporte mon témoignage et surtout mon indignation face à l’injustice du traitement à l’égard de la nature féminine.
« Le cœur bat. » Trois mots, terribles. Je me suis tue, éberluée, et j’ai pensé aux autres femmes dans la salle d’attente. Surtout ces très jeunes femmes qui subiront après moi – qui suis pourtant une femme de 36 ans convaincue et endurcie –, le regard froid et les paroles incisives du médecin. Aujourd’hui qui n’a pas le droit à l’erreur ? Nous, les femmes ! Je ne culpabilise pas de subir cette IVG, c’est un droit, le droit de dire que la nature peut se tromper et n’est pas toujours bien faite. Mais j’irai avorter seule, car personne n’est au courant dans mon entourage… » Hélène.
Propos recueillis par Anne-Lise Lebrun – EGALITE
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