Société « La parentalité est une question politique majeure depuis vingt ans »
Jacqueline Costa-Lascoux fait partie de ces chercheur-se-s qui savent lier leur travail de réflexion à une action sociale et politique. Elle collabore depuis plusieurs années avec l’Agence de développement des relations inter-culturelles pour la citoyenneté (Adric). Dernièrement, elle a été chargée de la direction scientifique du dernier guide méthodologique de l’association, « La parentalité dans tous ses états », sorti en avril 2012.
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Directrice de recherche au CNRS, vous avez beaucoup travaillé sur les questions relatives à la citoyenneté. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la parentalité ?
La parentalité est une question politique majeure depuis une vingtaine d’années. Avec l’évolution des modèles familiaux et l’émergence de certains problèmes comme le décrochage scolaire, les violences et incivilités des jeunes, les parents sont apparus comme un maillon essentiel dans la chaîne éducative.
Pour répondre aux divers problèmes de société, les professionnel-le-s de l’éducation doivent travailler avec les familles, voire les accompagner dans leur fonction éducative. La parentalité est, certes, du domaine privé, mais les parents participent aussi à la formation du futur citoyen. Plus la société est complexe et en mutation, plus l’éducation des jeunes est une priorité citoyenne.
Quels sont les enjeux actuels de la parentalité ?
Les transformations de la famille, les fréquents changements de statut que les individus connaissent au cours de leur existence sont concomitants des difficultés économiques, avec notamment l’aggravation du chômage et des problèmes de logement.
Si des avancées importantes ont eu lieu dans l’égalité entre les femmes et les hommes, dans la reconnaissance des droits de l’enfant, dans les libertés individuelles, l’instabilité fragilise les plus vulnérables.
Ainsi, les familles monoparentales, lorsqu’elles vivent dans la précarité économique, cumulent plusieurs fragilités.
Par ailleurs, dans des sociétés multiculturelles, les inégalités sociales sont aggravées par les différences linguistiques, la méconnaissance de certains codes sociaux et le manque de relais ou de réseaux dans les milieux professionnels. La fracture sociale et la fracture culturelle se conjuguent pour mettre directement en péril l’éducation des enfants.
En revanche, l’éducation à l’autonomie, l’apprentissage des savoirs et la découverte de nouveaux horizons culturels constituent les plus sûrs leviers d’une entrée dans la vie active et citoyenne.
L’Adric s’intéresse principalement aux questions inter-culturelles et citoyennes. Quel lien est-il fait, dans ce guide, entre l’inter-culturel, la citoyenneté et la parentalité ?
La citoyenneté démocratique encourage la diversité des façons de vivre, la pluralité des visions du monde et des convictions. Elle engendre nécessairement une société où l’inter-culturel garantit l’échange et la construction du vivre-ensemble.
Toutefois, cela n’est possible qu’à certaines conditions : l’intérêt général et le respect des principes républicains. La diversité ne devient pluralisme que si elle s’appuie sur un socle commun de valeurs partagées. A l’inverse, nier les malentendus culturels ou céder à l’angélisme du « politiquement correct » conduit à des rapports de force violents, au communautarisme et à des situations discriminatoires.
C’est pourquoi l’Adric engage une démarche inter-culturelle qui reconnaît l’autre dans sa singularité sur le principe d’égalité, égalité femmes-hommes et égalité de traitement des personnes dans leurs libertés fondamentales, telle la liberté de conscience, comme le préconise la laïcité.
Quel est l’apport innovant de ce nouveau guide ?
Les rayons des bibliothèques sont remplis d’ouvrages sur les mutations de la famille, mais ils étudient principalement les structures et les législations familiales.
Le guide de l’Adric a une autre approche : il part des observations de terrain, des témoignages des familles et des professionnels, de l’expérience des associations, pour analyser les changements, faire le diagnostic des réalités dans leur complexité, débattre des éléments de réponses pour les tester ensuite avec les principaux intéressés et les partenaires.
Ce guide se fonde sur un apport théorique qui prend en compte le dernier état de l’information et des discussions, mais son originalité est de faire référence, en permanence, à des situations vécues.
L’Adric ne cherche pas à définir des catégories de population « à risques » ou à « cibler des publics », à porter des jugements de valeur sur les « bons ou mauvais » parents, à dénoncer ceux qui seraient « démissionnaires ou irresponsables ».
L’association propose des études de cas en regard des évolutions de la société, des actions en accord avec les réponses institutionnelles possibles, des démarches opérationnelles et non pas une liste close de solutions prêtes à porter. C’est la dialectique entre le terrain et les idées qui favorise une réflexion adaptée aux difficultés rencontrées, mais aussi aux expériences réussies.
Propos recueillis par Clara Domingues – EGALITE
Le guide « La parentalité dans tous ses états » sera présenté à l’occasion d’un séminaire le 29 mai, de 14h30 à 17h,
Maison des ensembles
3-5, rue d’Aligre, 75012 Paris
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