Contributions Quel vote des femmes à la présidentielle 2012?

Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau, politologue et directrice de recherche au Cevipof (Sciences Po Paris/CNRS), revient sur le comportement électoral des Françaises au premier tour de la présidentielle de 2012, notamment sur le fait qu’elles ont voté à égalité avec les hommes pour le Front national, contrairement à leur vote minoritaire pour ce parti en 2002. Pour qui voteront-elles au second tour ?

Janine Mossuz-Lavau

Depuis les années 1970, les femmes participent aux scrutins autant que les hommes. Fini le temps où elles étaient un peu plus souvent abstentionnistes. Depuis les années 1980, elles votent à gauche autant qu’eux. Là encore, envolés les jours où, sous l’influence de l’Eglise et de leur assignation au foyer, elles faisaient le bonheur des partis de droite.

Mais cela ne signifie pas qu’elles se sont, à partir de ces deux dates, comportées exactement comme les électeurs. En règle générale, elles ont voté plus fréquemment pour le parti socialiste et pour la droite modérée et nettement moins pour le Front national.

En 2002, lors du premier tour de la présidentielle, si les hommes seuls s’étaient rendus aux urnes, Jean-Marie Le Pen serait arrivé en tête. Si les femmes seules avaient voté, il n’aurait pas été présent au second tour. Choix que l’on peut expliquer par le refus d’une conception guerrière de la politique et par le danger que faisait planer le FN sur la législation de l’IVG.

Mais l’élection de 2012 change la donne. Depuis plusieurs mois, les sondages nous montraient des ouvrières et des employées tentées par le vote bleu marine. Puis une population féminine qui, dans son ensemble, s’apprêtait à voter autant que la population masculine en faveur de la fille de Jean-Marie Le Pen. Les enquêtes effectuées le jour même de l’élection confirment cette intention. L’institut CSA indique un score de 18% dans l’un et l’autre électorat. La Sofres note une légère différence (20% des hommes, 18% des femmes), bien vite effacée par les résultats donnés par d’autres organismes.

Des possibilités d’identification

A mon sens, deux raisons peuvent être avancées à cette évolution. La première tient à un « effet » Marine le Pen. Jeune, divorcée, mère de famille, avocate, elle correspond à l’évidence plus que son père à ce que sont les femmes d’aujourd’hui, elle offre des possibilités d’identification. Elle ne joue pas le rôle de repoussoir que pouvait figurer l’ancien candidat du Front national aux yeux des femmes. Concernant l’IVG, elle ne remet pas en cause la loi Veil mais demande que l’on cesse de rembourser les avortements qu’elle appelle « de confort » ou « de récidive ». Ce qui éloigne une menace brandie jusqu’il y a peu par le Front national.

Mais surtout, et c’est là sans doute la raison fondamentale de son succès, elle a su s’adresser aux personnes en situation de précarité. Elle est parvenue à leur parler, à se faire comprendre, à utiliser un langage que peu de candidats ont réussi à manier. Or, on l’a peu dit dans cette campagne, la majorité des précaires sont des femmes. 80% des travailleurs à temps partiel sont des femmes.

Il y aurait donc un ressort de protestation assez désespérée de précaires qui n’ont plus confiance. Et qui ont voté beaucoup plus en raison de leurs grandes difficultés matérielles que par racisme pur et dur. Ou qui ont raisonné selon le principe (simpliste) des vases communicants : ce qu’on leur donne à eux (les « immigrés »), on ne me le donne pas à moi, qui en ai besoin.

Que vont-elles faire au second tour ? Les éléments manquent pour le dire. On sait que, globalement, les électeurs de Marine Le Pen se reporteront plus sur Nicolas Sarkozy que sur François Hollande. Mais, dans l’ensemble des intentions de vote, ce dernier rallierait plus les femmes que les hommes. D’après l’enquête réalisée par Harris Interactive les 25 et 26 avril 2012, 52% des hommes et 57% des femmes s’apprêteraient à voter pour le candidat socialiste.

Rappelons les revendications qui venaient en tête selon un sondage CSA de février 2012, qui portait sur l’égalité femmes-hommes : l’égalité salariale entre les hommes et les femmes à poste équivalent (pour 75% des femmes), des condamnations plus sévères pour les hommes coupables de violences conjugales (pour 68% des femmes), des aides spécifiques pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants (pour 57% des femmes) et la valorisation des retraites pour les femmes qui arrêtent ou réduisent leur activité professionnelle pour élever leurs enfants (pour 57% des femmes).

La lutte pour l’égalité est un des fondamentaux de la gauche. Il serait bon d’insister sur le fait que l’égalité entre les hommes et les femmes en est une composante au premier chef.

Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof (Sciences Po Paris/CNRS)

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