Contributions Les féminicides conjugaux en France
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Les chiffres : un enjeu important, des freins sociologiques
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En 2005, la Fédération nationale solidarité femmes obtenait du ministre de l’Intérieur la réalisation d’une enquête nationale annuelle sur le nombre de féminicides conjugaux en France. Réalisée en 2006, la première étude révèle que 150 femmes meurent de ce type d’homicides chaque année.
Les chiffres d’homicides devraient être des données plus faciles à collecter que les violences non mortelles, ordinaires et quotidiennes. Quand il y a homicide, un constat doit être fait par un médecin et des services de police, et si l’auteur est proche et connu, l’information s’impose d’elle-même. Alors pourquoi tant de difficultés pour obtenir des chiffres, en France comme dans les autres pays européens ?
La difficulté vient du fait que ces homicides ne sont pas repérés officiellement comme tels bien qu’ils représentent 50 % des homicides de femmes, contre 3 à 6% des homicides d’hommes. Le lien entre l’auteur et la victime n’est pas un indicateur du logiciel statistique de la police.
Quand le crime d’honneur devient crime passionnel
Si l’on remonte un peu plus loin dans l’histoire, le meurtre d’une épouse par son mari n’a pas toujours été un crime. Le crime « d’honneur » a existé en France jusqu’à la Révolution. Il a été juridiquement légitime pour un mari de donner la mort à son épouse (sa compagne, son amante ou son ex), au nom de son « honneur blessé », s’il la soupçonnait de le tromper, de l’abandonner ou de ne pas lui obéir.
Mais au moment de l’abolition du crime d’honneur, apparaît dans la littérature et la presse le « crime passionnel » qui a prolongé socialement l’excuse des maris meurtriers au nom de la « passion » amoureuse qui les habiterait (*). Deux cents ans plus tard, cette justification est toujours évoquée dans la presse et largement utilisée par les avocats qui défendent les maris meurtriers.
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Les chiffres augmentent avec l’attention prêtée au sujet
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La loi de 2006 a introduit plusieurs changements importants : elle a inclut le fait d’être un ex-conjoint dans les « circonstances aggravantes », déjà appliquées aux violences entre conjoints depuis 1994, en vertu du fait que le délit de violences envers des personnes qui sont censées se protéger mutuellement, mérite un aggravation des peines.
Cette extension contribue à faire prendre conscience que les violences ne disparaissent pas forcément avec la séparation, que celle-ci est un moment de grand danger pour les femmes et que nombre d’ex continuent à poursuivre celle qui veut leur échapper.
Ce changement de la loi a ouvert la voie à la production des statistiques, puisque ces crimes deviennent identifiables. En 2008, l’enquête comptabilise 156 femmes décédées des suites des violences de leur conjoint ou ex-conjoint. Elle signale aussi 14 femmes tuées par leur « petit ami » ou « ex-petit ami », type de relation non incluse dans les circonstances aggravantes, soit au total 170 féminicides liées aux violences conjugales.
Elargir encore le champ des circonstances aggravantes
L’évolution des définitions permet de mieux mesurer l’ampleur du phénomène mais elle n’est pas terminée. En effet, la domination ou la possessivité extrême peut être constatée aussi chez des hommes qui n’ont pas de lien permanent avec une femme. Elle peut se manifester parce que cette dernière a refusé d’avoir une relation sentimentale.
L’homicide d’une jeune fille brûlée vive par un prétendant éconduit a ainsi donné lieu à l’essor du mouvement Ni putes ni soumises en 2002. Il s’agit d’une violence de genre, c’est-à-dire qui s’explique par le fait qu’un homme a jeté son dévolu sur une femme et s’arroge un droit de contrôle exclusif sur elle, qui peut aller jusqu’à la mort si elle ne se soumet pas à sa volonté.
Il reste donc en France à étendre encore le champ des « circonstances aggravantes » pour prendre en considération toutes les relations sentimentales, actuelles ou passées, y compris quand elles sont imposées.
A partir de 2008, l’étude prend en compte d’autres sortes d’homicides : les homicides conjugaux commis par des femmes, les homicides « collatéraux » contre les enfants ou personnes proches, mais il n’y a pas de symétrie entre les crimes commis par des hommes et les crimes commis par des femmes. Les victimes sont à 82% des femmes (175 femmes contre 38 hommes), et 50% des femmes criminelles étaient elles-mêmes des victimes avérées (par des plaintes). Il s’agit donc de la même domination : ces hommes ont tué des femmes qui voulaient leur échapper, tandis que les femmes ont tué des hommes pour leur échapper (*).
Inclure les suicides de femmes victimes de violences dans les statistiques
Cette étude inclut également les suicides d’auteurs et les homicides commis par des « petits-amis » ou ex, qui ne sont pas (encore) concernés par les circonstances aggravantes et qui restent presqu’exclusivement des hommes. Au total tous ces décès représentent 304 victimes dans le cadre de violences affectées de circonstances aggravantes et 328 victimes si on inclut celles que la loi ne couvre pas (encore) en France.
Par ailleurs, différents calculs sur les liens entre violences et suicides permettent de faire l’hypothèse qu’au moins 230 femmes se seraient suicidées suite à des violences conjugales. L’estimation du chiffre total des décès de femmes liés aux violences conjugales en 2008 se monterait alors à environ 400 (170 homicides et 230 suicides présumés).
L’analyse sociologique doit permettre de comprendre les chiffres. Ce n’est pas parce que les hommes sont « mauvais » que certains d’entre eux détruisent ou tuent leur femme, mais parce que la société leur a dit durant des siècles qu’ils en étaient les propriétaires et que seul leur propre désir pouvait compter. C’est cette croyance socialement et culturellement transmise et répétée dans la loi, la littérature, ou les médias, qui pose problème et doit changer.
Les études de ce type devraient être confiées à un observatoire national sur les violences envers les femmes, dans lequel interviendraient les associations spécialisées, les autorités de police, de justice, de santé et de recherche, et toute institution ou structure pouvant contribuer à collecter de l’information, comme les médias.
Marie-Dominique de Suremain, chercheuse, experte de Psytel, spécialisée dans la prévention des violences faites aux enfants, aux adolescents et aux femmes et chargée de mission genre à Enda Europe
(*) Mercader Patricia, Houel Annick, Sobota Helga : Crime passionnel, crime ordinaire, PUF, 2003.
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