Monde Les Syriennes, actives dans les soulèvements et instruments de répression

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) publie sur son site un rapport sur le rôle des femmes dans les mouvements de contestations, les révolutions et les transitions dans le monde arabe. Début 2012, elle a recueilli les propos de défenseurs syriens des droits humains sur le rôle des femmes dans les soulèvements en Syrie.

Pour des raisons de sécurité, les personnes interviewées ont souhaité rester anonymes.

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Quel rôle jouent les femmes dans les manifestations ?

Les femmes ont, comme les hommes, mené des grèves et organisé des manifestations dans les villes et les villages en Syrie, même dans les zones les plus conservatrices. Dans les manifestations initiées par des milieux intellectuels ou au sein des universités, les femmes manifestent à égalité, aux côtés des hommes. Dans les rues de Damas, les femmes sont au milieu des cortèges et les hommes les encerclent pour les protéger.

Dans les villages, les zones plus conservatrices, les hommes sortent et les femmes suivent ensuite, plus loin suivies par d’autres hommes pour les protéger. En revanche, quand le cortège arrive à destination sur la place du village, elles sont placées au centre. Elles peuvent y rester jusqu’à une heure, lorsqu’il n’y a pas d’attaque ni de bombardement. Les femmes ne revendiquent pas leurs droits spécifiques, elles ne parlent que de la situation politique. Aujourd’hui, le mot d’ordre est « liberté pour tous ».

Elles jouent aussi un grand rôle quand les forces de sécurité viennent arrêter les hommes, s’interposant souvent pour empêcher les arrestations. Les femmes vont devant les commissariats pour réclamer la libération de leurs proches. En avril ou mai 2011, à Baniyas, les hommes ont tous été arrêtés : le lendemain, les femmes sont descendues dans les rues pour réclamer leur libération, allant jusqu’à barrer les routes.

Les femmes jouent également un rôle important en soignant les blessés dans des structures de soins d’urgence qu’elles montent elles-mêmes. En effet, il est impossible d’envoyer les manifestants dans les hôpitaux publics, où ils risquent d’être tués.

Quand les femmes ne peuvent pas aller dans les rues, elles organisent des réunions dans les maisons et enregistrent des vidéos dans lesquelles elles témoignent de la situation et qu’elles diffusent ensuite sur les réseaux sociaux.

Quand les manifestations sont réprimées, les forces de sécurité tirent indifféremment sur les hommes et sur les femmes. Sur ce triste point il y a égalité…

Quelles sont les violences spécifiques subies par les femmes?

Dans les centres de détention, les femmes qui ont manifesté se font insulter, traiter de prostituées. Les filles ou les femmes arrêtées ainsi que leurs familles, sont souvent stigmatisées et considérées comme déshonorées.

En Syrie, traditionnellement, le seul fait pour une femme d’entrer dans un poste de police ou un commissariat est une honte. C’est donc encore pire si elles sont arrêtées ou restent plus longtemps encore en détention ! C’est considéré comme une honte car on se doute que les femmes sont abusées sexuellement dans ces lieux.

Les agressions sexuelles et les viols sont répandus mais passés sous silence en raison des craintes de stigmatisation des victimes et personne, aujourd’hui, ne souhaite témoigner. Peut-être que plus tard il y aura des enquêtes.

Une jeune fille a été enlevée et détenue pendant quinze jours et a été violée. Son cas est connu, mais elle a par la suite refusé d’en parler. Une étudiante à l’université a également été victime de viol, mais son père a décidé de le cacher au reste de la famille. En effet, même si cela lui est arrivé parce qu’elle se battait pour défendre son pays, on sait que les femmes victimes de viol ne peuvent plus se marier.

Les enlèvements ciblent-ils les femmes en particulier ?

Le but du régime est d’amener les différentes communautés à la guerre civile. Les femmes représentent l’honneur pour les familles : dans certains cas, des individus à la solde du régime enlèvent donc les femmes des deux camps faisant penser que c’est le fait du camp adverse. Les communautés s’affrontent alors pour sauver leur honneur.

Dans les zones où il y a le plus de contestation, les femmes sont clairement la cible d’enlèvements, comme à Douma, par exemple. Dans la campagne de Damas, une zone conservatrice, si l’on enlève une jeune fille, c’est l’honneur de tout le village qui est brisé. C’est devenu un instrument pour les forces de l’ordre. On ne sait pas où elles sont emmenées.

Dans de nombreux cas il y a des négociations avec les familles. Les filles sont rendues à condition que les membres de la famille ne participent plus aux manifestations ou en échange d’une somme d’argent. L’agression des filles constitue désormais un instrument de la répression.

Quelles opportunités ont les femmes de participer au changement qui s’annonce en Syrie ?

Sous le régime dictatorial syrien certains droits sont reconnus aux femmes, mais il existe un fossé entre la loi et son application. Il y a des femmes ministres, des femmes juges, mais même juges, les femmes ont un gardien : leur mari, leur père.

Quand le régime sera renversé pour être remplacé par une démocratie, une institution devra être mise en place pour travailler spécifiquement sur les droits des femmes. Cette institution doit vraiment croire au changement pour les droits des femmes. Son travail ne sera pas aisé, la tâche est immense – car il s’agit de changer les mentalités, les coutumes – mais elle est fondamentale.

Propos recueillis par Karine Appy – FIDH

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