Aucune catégorie Tunisie : Le micro-crédit comme soutien à l’activité de femmes de quartiers populaires
L’association de micro-crédit Enda inter-arabe a installé son siège dans un quartier populaire du nord de Tunis. « Cela nous permet d’être proches de nos clients », raconte Fatma Kilani, responsable de la communication.
Si l’association a débuté dans les faubourgs de la capitale, elle est aujourd’hui présente dans tout le pays. Son expansion s’est d’ailleurs faite à une allure surprenante.
Enda inter-arabe, créée en 1990 par Esma Ben H’mida et son mari Michael Philipp Cracknell, s’est lancée dans le micro-crédit en 1995. Aujourd’hui, elle compte environ 200 000 clients actifs, qui empruntent en moyenne 800 dinards sur dix mois à un taux d’environ 27 % (*). Et ses objectifs de développement sont toujours ambitieux : « l’association compte doubler d’ici fin 2012 ses effectifs en personnel pour passer de 600 à 1200 personnes », affirme Fatma Kilani.
Les client-e-s d’Enda inter-arabe sont à 70 % des femmes. Une majorité féminine qui est une des caractéristiques des institutions de micro-crédit, pour des raisons qui sont observées partout dans le monde : les femmes sont davantage touchées par la pauvreté et elles sont plus fiables financièrement, leur taux de remboursement étant plus élevé que celui des hommes.
Le risque de maintenir les femmes dans le secteur informel
Pourtant, 70 % des prêts, dont la majorité va à des femmes, servent à soutenir des activités à domicile, non déclarées, avec une saisonnalité importante et génératrices de revenus limités. Avec le risque de maintenir ainsi les femmes dans le secteur informel avec son lot de précarité.
En revanche, 30 % des prêts, dont la majorité va à des hommes, sont destinés à des activités exercées hors domicile, générant des revenus plus importants.
Malgré ces limites, les activités d’Enda inter-arabe ont le mérite de permettre à des femmes de développer une activité génératrice de revenus supplémentaires et/ou de soutenir des personnes ayant connu un « accident de la vie », tel qu’accident du travail, divorce, décès dans la famille, etc.
D’ailleurs, dans les mois qui ont suivi la révolution, l’association a également permis d’apporter un soutien à des personnes ayant rencontré des difficultés suite à la détérioration de leur local professionnel, ou à la baisse de la demande, par exemple. Cette période de tension a d’ailleurs eu des effets inattendus sur la répartition des rôles au sein de certains ménages. Des femmes sont ainsi devenues les principales pourvoyeuses de revenus des familles pour prendre le relais des conjoints en difficulté professionnelle. Témoignages.
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Rafika Gebali, femme de 50 ans, est couturière
« Je suis cliente d’Enda depuis quatre ans. Auparavant, je travaillais dans un atelier de textile où je faisais du contrôle qualité. Mais j’ai eu un accident du travail et, à cause d’un mal de dos, j’ai dû quitter ce poste. Alors, j’ai souscrit plusieurs prêts successifs auprès d’Enda pour un montant cumulé de 7 000 dinars, qui m’ont permis de développer une activité de couturière indépendante. A présent, j’ai un atelier et je compte embaucher deux personnes ».
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Teyssir Ben Amer, femme de 42 ans, tient un commerce de matériaux de construction
« Initialement, j’ai un diplôme d’institutrice, mais j’ai choisi de travailler dans l’entreprise familiale car cela me permettait de m’occuper de mes trois enfants en même temps. Je suis gérante et mon mari est commercial. Nous vendons des matériaux de construction aux particuliers et aux professionnels. Il y a cinq ans, suite à une inondation dans notre quartier, nous avons perdu beaucoup de marchandises. Nous avons donc fait appel à Enda pour un prêt de 5 000 dinars qui nous a permis de poursuivre notre activité. C’est dans ces cas-là qu’Enda peut nous sortir de situations difficiles ».
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Slaheddine Dridi, homme de 43 ans, est bijoutier
« Pendant les journées de la révolution début 2011, il y a eu beaucoup de saccage dans mon quartier d’Intilaka, à Tunis. Ma boutique de joaillerie a été pillée et brulée. Du coup, je me suis retourné vers Enda qui m’a offert deux prêts de 2 000 et 3 000 dinars. Mais je n’ai pas encore vraiment relancé l’activité. Heureusement, ma femme tient une petite épicerie et c’est grâce à son activité que nous pouvons vivre avec nos trois enfants aujourd’hui ».
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Abderraouf Berrabah, homme de 54 ans, est fabriquant de sacs
« Cela fait onze ans que je connais Enda ! L’association m’a permis de développer mon activité de fabrication de sacs en cuir et simili cuir. Elle m’a également soutenu lorsque j’ai traversé des difficultés au moment de la révolution. J’ai dû faire face à une baisse de la demande et à de nombreux impayés. Enda m’a fait un prêt qui m’a permis de créer une activité pour ma femme : dans un petit studio dont je suis propriétaire, elle confectionne du linge de maison. Son travail est pris en photos par notre fils qui le met en ligne sur internet. Ma femme suit aussi une formation sur le thème de la décoration. »
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Radhia Zribi, femme de 45 ans, commercialise des vêtements
« Je suis cliente d’Enda depuis 1996. Mon premier prêt m’a permis de lancer une activité de commercialisation de vêtements à l’export. Pendant plusieurs années, je n’ai pas eu besoin de souscrire de crédit. Mais lorsque j’ai eu des soucis personnels il y a quelques temps, je me suis retournée vers Enda. Un nouveau prêt m’a permis de créer une boutique de location de robe de soirée et de mariage à Tunis. Récemment, j’ai ouvert une seconde boutique à Gabès, dans le sud de la Tunisie ».
Blanche Manet – EGALITE
(*) Ce taux correspond à la moyenne des taux pratiqués dans la région. Comme toutes les institutions de microfinance (IMF) dans le monde, Enda inter-arabe applique un taux d’intérêt élevé. Les IMF le justifient par le coût important de ses prêts à des personnes qui n’ont pas accès au crédit dans le système bancaire classique. Des analyses ont montré que ces taux pouvaient être difficilement supportables par les clients qui ont du mal à rembourser et risquent de s’enfoncer dans la spirale de la dette. Pour lire des analyses de pratiques de micro-crédit, voir notamment les travaux d’Isabelle Guérin, chercheure à l’Institut de recherche pour le développement.
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