Aucune catégorie Droits des femmes en Tunisie : un combat à mener sur tous les fronts
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« Avant le 14 janvier 2011, nous ne pouvions pas afficher le nom de l’association sur la porte du local », raconte Samia Letaief, chargée de communication à l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (Afturd), située dans la banlieue nord de Tunis. Cette activité bénévole, elle la mène parallèlement à son engagement syndical au sein de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dont elle est adhérente depuis qu’elle a commencé à travailler comme anesthésiste en 1984.
Assise sur un des canapés du local de l’association, petite brune au regard vif, elle raconte l’histoire de l’Afturd : « Quand l’association a été créée en 1989, l’idée était de créer une structure féministe pour effectuer des travaux de recherche, qui se distingue des mouvements de femmes proches du pouvoir sous Ben Ali. »
Une indépendance qui a eu un prix. « Nous n’étions pas dans la clandestinité, mais nous étions constamment ennuyées et limitées par le manque de liberté. » Comme cette année où le congrès de l’Afturd a dû être annulé à la dernière minute, suite à une mystérieuse coupure d’électricité à l’hôtel qui devait les accueillir.
Jusqu’à la révolution, l’Afturd a dû se contenter de mener quelques enquêtes sur la précarité des femmes, le travail informel… Toujours après négociations avec les autorités. Et de tenir quelques guichets d’écoute juridique pour informer les femmes sur leurs droits, notamment dans les cas de divorce.
Tourner la page de la censure
Pendant les journées de mobilisation de janvier 2011, Samia Letaief était dans la rue. Le 14 janvier, journée, devenue symbole, au cours de laquelle Ben Ali a quitté le pays, elle était présente sur l’avenue Bourguiba, centre de la mobilisation à Tunis. A la fois pour secourir les blessés en tant que médecin et pour scander le slogan qui a fait force « Dégage Ben Ali ! ».
Même son fils, qui n’avait pas encore 18 ans, a été embarqué dans l’aventure révolutionnaire. Toute une nuit, il est resté coincé dans un hôtel de l’avenue Bourguiba. « Nous étions très inquiets, nous avons mis beaucoup de temps à retrouver sa trace. Il avait été contraint de se réfugier dans un hôtel au moment où les forces de l’ordre envoyaient des lacrymogènes », raconte-t-elle.
La révolution a permis de tourner la page de la censure. Et imposé de nouvelles priorités. « Après janvier 2011, à l’Afturd, nous sommes allées davantage sur le terrain, explique Samia. Nous avons soutenu concrètement des femmes qui avaient souffert pendant les événements. Certaines ont perdu un proche ou ont été confrontées au chômage. »
L’Afturd s’est aussi impliquée dans les débats qui ont précédé les élections de l’Assemblée constituante en octobre 2011, en organisant notamment des conférences sur la transition démocratique et une campagne pour inciter les femmes à aller voter.
Un long chemin vers la mixité
Son combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Samia le mène aussi sur le front syndical. Pendant quatre ans, jusqu’en septembre 2011, elle a été membre du bureau exécutif de la fédération santé de l’UGTT. Et la seule femme. « Le problème à l’UGTT, c’est le phénomène de pyramide : on compte 48 % de femmes à la base du syndicat, mais seulement 1% dans les instances dirigeantes, explique-t-elle. Il est très difficile pour une femme d’avoir accès à un poste à responsabilités. »
La faute à une société patriarcale, dans laquelle les femmes sont constamment renvoyées à leur rôle d’épouse et de mère quand les hommes tiennent à conserver le pouvoir. « Pendant les quatre années où j’étais à la fédération, j’ai tenté de créer une commission femmes santé, mais elle n’a jamais pu voir le jour. Pour les autres membres du bureau, tous des hommes, il y avait toujours plus urgent. »
Malgré les obstacles, Samia ne renonce pas au chemin vers la mixité. Elle s’est d’ailleurs elle-même présentée comme candidate au bureau exécutif national – qui ne comptait aucune femme –, lors du dernier congrès national en décembre dernier. Afin de faire élire au moins trois femmes à ce bureau, les féministes de l’UGTT se sont fortement mobilisées : manifeste, conférence de presse, meeting… Rien n’y a fait. Aucune femme n’a été élue au bureau exécutif en décembre 2011 !
Samia reprends donc son poste d’anesthésiste à l’hôpital et poursuit vaille que vaille son engagement militant, à l’UGTT comme à l’Afturd. Aujourd’hui, l’association féministe compte moins de 200 adhérentes. Mais Samia estime que ce nombre pourrait tripler dans les prochains mois « car plein de gens veulent agir pour plus de liberté ».
Et l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahdha suite aux élections d’octobre 2011, pourrait y concourir. Beaucoup craignent pour l’avenir des droits et libertés des femmes. « Il faut rester vigilant, affirme Samia. On a fait la révolution il y a un an. A présent, il faut que la liberté et la justice concerne aussi bien les femmes que les hommes. »
Blanche Manet – EGALITE
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