Non classé Le goût amer de la militance
—
—
Difficile de trouver une heure dans son emploi du temps surchargé, mais quand elle est là, elle bouillonne pour dénoncer tout ce qui lui pèse dans la société d’aujourd’hui. A bientôt 23 ans, Klara – un hommage à Clara Zetkin (*), voulu par sa mère – est étudiante à l’Université Rennes 2. Et ses sujets d’indignation sont nombreux. Même si, un voile sur la voix, elle déclare « en ce moment, je suis découragée, désabusée… »
Parce qu’elle s’est engagée très tôt dans les combats militants, celle qui reconnaît avoir « lu Proudhon et Bakounine au collège » avoue surtout aujourd’hui « on a été hyper déçus ». Elle fait référence aux jeunes de sa génération descendus dans les rues en avril 2002 et qui y sont restés longtemps, contre la loi Fillon, le CPE, la LRU et tant d’autres réformes ou projets de loi qu’ils jugeaient iniques.
Ne pas se laisser enfermer dans des cases
Son prénom la prédestinait peut-être à la révolte. En tout cas, Klara ne rentre pas dans les cases imposées. Elle reste libre. « Je n’ai jamais vraiment fait partie d’un groupe, dit-elle. J’ai plein d’amis différents, mais ils sont tous hors normes. Ce sont tous des gens qui se battent pour qu’on ne les enferme pas. »
Aujourd’hui entre les cours à la fac, les recherches pour son mémoire, un stage dans une association culturelle et son job de vendeuse de tabac, Klara reconnaît qu’elle a un peu laissé tomber ses engagements politiques. « Ça me rend triste et amère de ne militer nulle part, de n’avoir nulle part où réorienter ma colère et mon énergie », regrette-t-elle. Mais son passage à la LCR puis au NPA lui ont laissé une drôle d’impression.
« J’arrive peut-être à un moment où il faut vraiment que je m’occupe que de moi après m’être occupée d’un tas d’autres choses », s’interroge-t-elle. Evoquant sa déception concernant un milieu d’extrême gauche où subsiste « le mythe de l’homme qui sait et qui n’a pas besoin de femmes pour le distraire ».
Et de s’interroger sur certains choix au seuil de l’élection présidentielle. « Il n’y a jamais eu de femme porte-parole de la Ligue, déplore-t-elle. Je pense qu’on a raté un signal énorme sur lequel il y avait écrit « féminisme », alors qu’aujourd’hui justement ce sont les femmes qui sont le symbole de la précarité, du surmenage, de comment l’humain est poussé complètement à bout par une rentabilité débridée. »
Une priorité : éduquer les garçons
Si vous lui posez la question, la réponse de Klara est sans appel : « Je suis féministe, oui clairement ! » Et elle développe : « J’ai très tôt intégré le féminisme dans ma formation politique. Le livre de Virginie Despentes, King Kong Théorie est sorti en 2006 et je l’ai lu cette année-là. J’avais 17 ans. » Et aujourd’hui, Klara se réjouit de ce renouveau du féminisme qu’elle perçoit. « C’est évident que les femmes ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que les hommes, qu’elles sont traitées de manière injuste », dit-elle.
Pour elle, les causes à défendre sont multiples même si le droit à disposer de son corps, et en particulier le droit à l’avortement, arrive en premier lieu. « Une des priorités du féminisme c’est d’éduquer les garçons. Il faut arrêter de dire que c’est tout le temps aux femmes de faire des efforts. Il n’y a qu’un effort qu’elles doivent faire, c’est d’arrêter de se minorer, d’être tout le temps dans une sorte de modestie. »
Des convictions qu’elle vit au quotidien notamment quand il s’agit de discuter une augmentation de salaire sur son lieu de stage. « Etre féministe ça pousse à se dire « j’ai peur, mais je vais me pousser et oser le faire ». C’est une question d’affirmation de soi. Beaucoup de femmes ne veulent pas dire qu’elles sont féministes parce qu’elles ne veulent pas être reconnues comme des victimes. Reconnaître qu’il existe une domination, une oppression c’est se reconnaître victime, mais c’est à partir de là qu’on peut changer les choses. »
La pornographie côté femmes
Autre sujet pour lequel Klara s’enflamme en ce moment : les recherches qu’elle fait depuis deux ans pour son mémoire. En art du spectacle, option cinéma, elle a choisi de travailler sur un thème rarement abordé par des étudiants : la pornographie féminine.
Elle reconnaît qu’au départ, elle ne savait pas vraiment où elle mettait les pieds. « Je voulais voir ce que font les femmes quand elles se préoccupent de pornographie ». Dans un premier temps, elle découvre des films faits par les femmes pour les femmes. Des films militants fait par des lesbiennes et qui donnent « une nouvelle vision de la sexualité entre femmes qui ne soit pas une vision créée par des hommes ».
Avec sa nature passionnée, elle se lance dans des recherches rendues malaisées par le manque d’écrits sur ce sujet en langue française et le difficile accès aux films largement ignorés dans les études cinématographiques alors que c’est « le cinéma le plus consommé au monde ». Dans son entourage on sourit un peu de son choix mais les professeurs se montrent plutôt encourageants.
Progressivement, son enthousiasme du début s’est un peu modéré. « Pour moi, ça représentait vraiment une libération de savoir que les femmes peuvent produire leurs propres images de sexe alors que d’habitude les images pornographiques auxquelles on a accès sont des images faites par des hommes pour des hommes. » Puis elle se heurte à des discours qu’elle juge « très libéraux ».
« Aujourd’hui, si mon intérêt n’a pas faibli, je suis devenue plus critique et je me pose des questions sur la libéralisation du corps, dit Klara. Est-ce qu’au nom du féminisme on peut affirmer qu’on peut faire n’importe quoi avec son corps, qu’on peut montrer n’importe quoi ? » Klara a encore plusieurs mois devant elle pour tenter de répondre à toutes ses questions.
Et après ? Pour l’instant, c’est un peu flou. « Quand j’ai débuté ces études-là, je n’avais pas de projet particulier. Je voulais juste apprendre des trucs. Aller à la fac, militer et apprendre. Comme je suis quelqu’un de très curieux, tout m’intéresse. Mais comme je suis aussi quelqu’un de très impulsif, je pourrais très bien finir antiquaire ou fleuriste ! »
Geneviève Roy – EGALITE
(*) Féministe allemande (1857-1933), députée socialiste pendant la république de Weimar de 1920 à 1933.