Non classé Aminata Diallo, féministe burkinabée libre et entêtée
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Article paru dans le numéro de décembre 2011 d’Altermondes sous le titre Aminata Diallo, libre et entêtée.
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« Osez rêver d’un monde meilleur mesdames, un monde où vous êtes les actrices principales ! », répète à l’envi Aminata Diallo aux femmes des groupes de parole qu’elle anime à Bobo Dioulasso (1) et dans lesquels on parle de mariages forcés, d’excisions, de contraception, de connaissance du corps…
Pour cette professeure de philosophie de 54 ans, libre et entêtée, l’engagement va de pair avec la lutte contre les injustices, dont elle a pris conscience depuis l’enfance.
Fille d’un magistrat itinérant, qui pratique des « audiences foraines » de village en village, Aminata se passionne très tôt pour les choses de lois. Espiègle, elle lit en cachette les dossiers paternels, allant jusqu’à se rendre discrètement aux audiences du palais de justice.
Un sentiment de révolte l’envahit quand elle voit ses oncles organiser les mariages forcés de leurs filles. Consciente du fait qu’elle doit gagner en liberté pour agir, Aminata part étudier en internat dès l’âge de 11 ans. La jeune fille y est confrontée au problème des grossesses non désirées. « Des filles, souvent des amies, partaient un matin avec leurs valises, sans qu’on n’ait aucune explication et pour ne plus jamais revenir », se souvient-elle avec douleur.
Une rencontre décisive avec le Mouvement français pour le Planning familial
Cette exclusion du système éducatif des jeunes filles enceintes, sans autre forme de procès, renforce la jeune élève dans son sentiment de révolte contre les injustices. Dans son premier poste d’enseignante, Aminata est de nouveau confrontée aux grossesses précoces. Elle s’engage d’abord auprès des jeunes filles enceintes en leur fournissant une aide matérielle.
Puis elle met en place de façon clandestine, dans le lycée, des cours de prévention sur la contraception et sur les maladies sexuellement transmissibles, en s’entourant de professionnels de santé. Mais les cours sont désertés, le niveau est jugé trop complexe par les jeunes filles.
En 2003, une rencontre décisive avec le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) pousse l’enseignante à travailler à la mise en place de groupes de parole pour les femmes et les jeunes filles, sur le thème de la santé sexuelle et reproductive. Le MFPF vient former des animatrices à Bobo Dioulasso et les premiers groupes de parole ont lieu dans le lycée, à l’heure des permanences.
Elle n’obtient pas l’autorisation du proviseur pour légaliser ses activités et décide alors de les mener pendant les congés scolaires au siège de l’association Maïa (2), qu’elle a créée quelques années auparavant.
Peu à peu, des femmes de tout âge rejoignent les discussions collectives, où l’on évoque les problèmes d’accès aux soins de santé et surtout, les obstacles en matière de contraception et de dépistage du VIH/Sida, qui sont principalement liés au manque de coopération des maris.
Impliquer les maris avec l’aide d’un imam
Rapidement, les discussions glissent sur les rapports de domination hommes/femmes et sur les violences conjugales. Comprenant que le travail de fond doit être orienté vers la lutte contre les idées rétrogrades, Aminata accède rapidement à la demande des femmes d’impliquer les maris, de manière originale : « Je suis allée chercher un imam de Bobo Dioulasso, l’un de mes plus fidèles soutiens, pour qu’il sensibilise les hommes sur le thème de la contraception ou de l’excision, en usant des arguments religieux, qui étaient les plus à même de les convaincre ».
Forts de leur succès, Aminata et son co-équipier travaillent en ce moment sur d’autres thèmes de formation pour les hommes. Aujourd’hui, l’association Maïa rayonne dans tout le pays. Des animateurs et des éducateurs ont été recrutés pour sensibiliser aux questions liées à la sexualité dans les écoles et les villages, voire dans certains pays limitrophes, comme la Côte d’Ivoire.
Résolument féministe, Aminata confie son rêve de voir rapidement « la situation des femmes s’améliorer à tous les niveaux – santé, éducation, autonomie financière, liberté – afin qu’elles puissent faire des choix judicieux et que les hommes les considèrent comme des partenaires avec lesquelles discuter, dans le respect et l’égalité ».
Myriam Merlant
(1) Deuxième ville du Burkina Faso, en termes de population, après la capitale Ouagadougou.
(2) Qui signifie « humanisme » en dioula.