Société Tristane Banon : « Faites-vous violence et portez plainte ! »
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Que pensez-vous du combat des féministes contre les violences faites aux femmes ?
Quand on m’a traînée dans la boue, menacée de mort, injuriée, il n’y a eu que les féministes pour me défendre et je les en remercie. Je peux aussi citer le nom de personnalités qui m’ont crue et soutenue : Jean Quatremer, Caroline Fourest, Sophia Haram, François Bonneau, François Morel, Cécile Duflot, Clémentine Autain.
J’ai découvert que les féministes étaient là depuis des années. Et c’est grâce à elles que j’ai eu envie de porter ce combat. Au-delà de mon histoire, ce sont les féministes qui ont été entendues.
J’ai hésité à venir à la manifestation du 5 novembre contre les violences faites aux femmes car je ne voulais pas gêner les féministes, j’avais peur qu’elles ne me comprennent pas. J’aurais d’ailleurs aimé voir plus d’hommes et de femmes politiques à cette manifestation.
Je me demande aujourd’hui comment j’ai pu ne pas voir plus tôt toutes les inégalités que vivent les femmes. Mais viscéralement aujourd’hui leurs combats sont devenus les miens, je veux travailler avec elles.
Il n’en reste pas moins que j’ai encore un peu de mal à dire ce mot, « féministe ».
Concernant les droits des femmes, y a-t-il d’autres causes qui vous semblent importantes à soutenir ?
Je suis aujourd’hui de tous les combats féministes que j’estime nécessaires. Par exemple, le problème du « madame » ou du « mademoiselle » (2), je ne le juge pas forcément important, je ne m’y investirai pas. D’autres questions me semblent prioritaires, comme celles de l’égalité salariale et de la parité en politique.
Je suis aussi réceptive à toutes sortes de discriminations, ainsi il y a des journalistes qui me font passer des messages. Je pense notamment à cette rédactrice en chef qui succède à un homme et qui me dit que l’on se permet avec elle des choses que l’on ne se permettait pas avec son prédécesseur.
Et toujours en matière de violences envers les femmes, il reste beaucoup à faire. Il existe une brigade spéciale à Paris pour les femmes victimes, il en faudrait partout en province. Il faut améliorer l’accueil des victimes.
Quel est votre sentiment sur la façon dont la justice traite les affaires d’agression sexuelle ?
La prescription de trois ans pour les affaires d’agression sexuellel est tout à fait scandaleuse. Les femmes doivent toujours apporter la preuve de leur agression. Il est clair qu’il y a une volonté de la part des magistrats de désengorger les tribunaux de ce type d’affaires.
La proposition de loi de Marie-George Buffet proposant de porter à dix ans le délai de prescription pour les agressions sexuelles est très intéressante et je m’étonne qu’elle n’ait pas été plus soutenue par d’autres politiques (1). Marie-George Buffet a eu le courage exceptionnel de le faire.
Avez-vous un message à faire passer aux autres victimes ?
Avant le mois de mai 2011, je n’avais jamais eu de discussion avec d’autres victimes. Ce que je sais maintenant c’est que nous avons toutes les mêmes symptômes. Nous avons les mêmes troubles alimentaires, par exemple. La plupart des victimes ne mangent pas de viande. On se lave tout le temps. Moi je le fais depuis cette date de 2003. Et depuis mon agression, je ne suis jamais arrivée à avoir du plaisir avec un homme.
Cela fait du bien de comprendre que nous avons les mêmes symptômes car cela renforce la preuve, s’il en était besoin, que nous sommes des victimes. Le viol est le seul crime où la victime se sent coupable. Et en plus on se sent complice car on ne parle pas.
Quand vous êtes victime, vous ne voulez pas porter plainte, vous n’en avez pas le courage. Il y a déjà l’hôpital, la police. La plainte serait une épreuve supplémentaire. J’ai envie de porter cette parole et de dire à toutes les femmes « faites-vous violence et portez plainte ». Car la négation des violences que l’on vous a infligées est le pire.
On m’a fait taire moi, comme on a fait taire toutes les femmes.
C’est une question de survie de porter plainte. Pendant plus de huit ans, j’ai pensé qu’il n’y avait que moi qui n’osait pas porter plainte.
La presse française a protégé DSK, mais la presse étrangère a réagi très différemment. Une journaliste chinoise m’a dit « parlez aux femmes chinoises pour qu’elles osent porter plainte ».
Comment le message passe-t-il ?
Je suis arrêtée tout le temps dans la rue par des femmes qui me soutiennent ou qui me disent se reconnaître en moi.
Je rencontre des gamines de 6, 7 ans qui m’arrêtent me disent : « C’est bien ce que vous faites Tristane, merci ».
Dans mon livre (3), je raconte l’anecdote du petit garçon d’une amie à qui on a récemment demandé, dans son centre de loisirs, d’écrire un journal. Et ce petit garçon de 7 ans a écrit, à propos de mon affaire et de celle de Nafissatou Diallo, que toutes les femmes avaient raison et que toutes les filles de son école étaient contentes que Nafissatou Diallo et moi nous ayons lutté contre le « méchant monsieur ». Je me suis aperçue que les enfants ont une certaine conscience des réalités.
Et puis à la sortie d’un dîner à Nîmes, je tombe sur un groupe de jeunes beurs de 15 à 17 ans et, contrairement aux stéréotypes véhiculés, ils m’interpellent : « Bravo Tristane, il faut continuer ! » J’étais vraiment fière ce soir-là.
Il y a aussi cette femme qui a écrit à son violeur 32 ans après les faits à la suite d’une discussion avec moi.
Comment vivez-vous aujourd’hui ?
Je suis journaliste de formation, j’ai écrit des romans. Je vis seule depuis l’âge de 14 ans et j’écris depuis cet âge-là. J’ai commencé à travailler à 16 ans comme pigiste sportive.
Ma dernière carte de presse date de 2002, est-ce un hasard ? Je pense qu’il y avait des instructions pour ne pas me laisser monter, on m’a savonné la planche, pour que, si un jour l’affaire éclate, on puisse m’éliminer.
Je suis aujourd’hui au RSA.
Propos recueillis par Caroline Flepp – EGALITE
(1) Depuis cet entretien, Roselyne Bachelot s’est prononcée en faveur d’un délai de prescription de 10 ans pour les agressions sexuelles. Voir l’article de lexpress.fr.
(2) A propos de la campagne d’Osez le féminisme et des Chiennes de garde « Mademoiselle, la case en trop ! ».
(3) Le Bal des hypocrites, Tristane Banon, Editions Au Diable Vauvert.