Contributions Les femmes face à la crise et à l’austérité 1- L’impact de la crise
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La crise a des effets très négatifs sur l’ensemble des sociétés, mais particulièrement pour les femmes, sur le marché du travail comme dans la vie privée. Les politiques d’austérité mises en place en Europe font payer la crise aux populations en épargnant les responsables que sont la finance et les grandes banques. Injustice supplémentaire : ces politiques, en ignorant toute analyse des effets différenciés de la crise sur les hommes et les femmes, non seulement ne font rien pour les corriger mais les aggravent.
Christiane Marty, membre de la commission genre et du conseil scientifique d’Attac, nous propose une analyse de la situation, en Europe et en France, en deux parties. La première, publiée aujourd’hui, aborde l’impact de la crise sur les femmes. La seconde, prévue le 1er décembre prochain, traitera des conséquences pour les femmes des plans d’austérité.
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En raison des inégalités entre les sexes, les hommes et les femmes n’ont pas la même place ni sur le marché du travail ni dans la sphère privée : sur-représentation des femmes dans les emplois informels, précaires et les bas salaires, et sous-représentation à tous les niveaux de décision dans le domaine économique.
Les femmes sont davantage exposées à la précarité de l’emploi, au licenciement, à la pauvreté, et moins couvertes par les systèmes de protection sociale. Du fait de cette différence de situation, la crise a des conséquences différentes selon le sexe. Les périodes de récession, les personnes déjà menacées de pauvreté sont plus vulnérables, notamment celles qui sont confrontées à des discriminations multiples : mères célibataires, jeunes, seniors, immigré-e-s, issues de minorités ethniques…
Les femmes sont plus durement touchées. C’est un constat fait notamment par la Confédération syndicale internationale (CSI), l’Institut européen pour l’égalité de genre, et le Parlement Européen. La crise « ne fait qu’aggraver la position traditionnellement défavorisée des femmes (1) ». La CSI rappelle que « l’impact de la crise sur l’emploi des femmes tend à être sous-évalué et ne fait jamais la une des journaux. Pourtant d’une manière générale, les femmes sont les premières concernées par l’insécurité et la précarité croissantes de l’emploi ». Ce qui est très peu reflété par les statistiques officielles. Pour la Confédération, les données sexuées font trop souvent défaut et les indicateurs standards ne saisissent pas l’ampleur de l’augmentation de l’insécurité économique qui frappe les femmes.
Le taux de chômage des femmes redevient supérieur à celui des hommes
Dans l’Union européenne, sont les secteurs où les hommes sont majoritaires qui ont d’abord été durement touchés par la crise : bâtiment, industrie, transports. (Ce sont aussi ces secteurs à dominance masculine où se sont concentrés les plans de relance). La progression du taux de chômage des hommes a donc été plus forte entre 2007 et 2009 : leur taux de chômage a rejoint celui des femmes en 2009. Il est en 2010 de 9,6 % pour les hommes comme pour les femmes.
En parallèle, les travailleuses à temps partiel ont subi des réductions de la durée du travail. Les personnes sous-employées – qui souhaitent travailler plus –, majoritairement des femmes, n’apparaissent pas dans les statistiques publiées du chômage. On constate aussi que, dans certains pays, les femmes se retirent de la population active en réaction à l’absence d’emploi. Ce qui contribue également à une sous-évaluation des effets de la crise sur le chômage des femmes.
La première phase de la crise, avec la plus forte hausse du chômage des hommes, a été suivie par une seconde phase où ce sont les secteurs à dominante féminine qui ont été touchés : le secteur public, le secteur des services, la santé…
En France, comme partout en Europe, les taux de chômage des hommes et des femmes se sont rejoints en 2009, mais dès 2010, le taux de chômage des femmes est redevenu supérieur.
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Evolution du taux de chômage des hommes et des femmes en France
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Comme l’analyse Françoise Milewski (2), on ne peut occulter que le temps partiel constitue du chômage partiel. Les femmes ont été moins touchées par les pertes d’emploi que par l’accroissement du sous-emploi à travers le temps partiel. Le taux d’emploi des femmes à temps partiel a augmenté, en même temps qu’augmentait fortement leur taux de chômage en « activité réduite ».
En outre, la crise a entraîné la multiplication des contrats précaires, aux horaires courts et très bas salaires qui concernent majoritairement les femmes. Le chômage partiel des hommes et des femmes n’a pas été traité de la même manière. Dans l’industrie automobile, les hommes subissant une réduction de leur activité ont bénéficié de mesures d’indemnisation.
Mais rien n’a été prévu concernant la réduction de l’activité des femmes à temps partiel. L’idée selon laquelle le chômage des hommes est plus grave que celui des femmes est encore tenace. De fait, les hommes sont indemnisés dans une proportion supérieure aux femmes. Selon Pôle Emploi, 64 % des hommes au chômage sont indemnisés contre 57 % des femmes.
Une sur-représentation des femmes dans le travail informel
Le recours au travail précaire et informel (3) a partout considérablement augmenté du fait de la crise. Il s’agit en réalité d’une accélération d’une tendance de fond qui fait du processus « d’informalisation » du travail la caractéristique de tous les marchés de l’emploi. Cette tendance touche bien davantage les femmes, et en particulier les migrantes.
Malgré l’insuffisance de données sexuées, les analyses de terrain constatent la sur-représentation des femmes dans le secteur informel, l’emploi vulnérable et le travail à temps partiel, une rémunération plus faible que les hommes pour un travail de valeur égale, et un accès limité aux prestations sociales. Ce qui, selon la CSI, « sape leurs droits, perpétue les inégalités entre les sexes dans la société, et limite les perspectives de progrès économique durable ».
Dans un rapport de juin 2011 sur l’emploi des femmes et la crise, la Confédération européenne des syndicats dresse un constat alarmant sur l’évolution des conditions de travail des femmes en Europe, en termes de temps de travail, de salaires et de contrats. Les emplois féminins se sont encore précarisés et l’on observe partout une augmentation de la charge de travail, de la pression et du stress, du harcèlement moral et psychologique et du travail au noir. Le nombre de travailleuses non déclarées a sensiblement augmenté, en particulier dans le secteur domestique.
A travers deux résolutions votées en 2010 (4), le Parlement européen attire l’attention sur le fait que la situation n’a pas reçu l’attention qu’elle mérite : « La crise financière et économique en Europe a des répercussions particulièrement négatives sur les femmes, davantage exposées à la précarité de l’emploi et au licenciement et moins couvertes par les systèmes de protection sociale. » Il est dommage que de telles alertes ne soient pas suivies d’effet, ce qui interroge sur le pouvoir réel du Parlement européen.
Les femmes plus exposées au risque de pauvreté
L’augmentation de la pauvreté touche les personnes hors emploi comme en emploi. Le Parlement européen constate que « la pauvreté féminine reste dissimulée dans les statistiques et les régimes de sécurité sociale ». Dans son rapport annuel de 2010 sur l’égalité entre les femmes et les hommes, la Commission européenne note que les femmes sont plus exposées au risque de pauvreté, en particulier les plus de 65 ans avec un risque de pauvreté de 22 % (contre 16 % pour les hommes), les mères célibataires avec 35 %, et d’autres catégories de femmes comme celles appartenant à une minorité ethnique.
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Risque de pauvreté relative des hommes et des femmes par tranche d’âge
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En France, les organisations humanitaires relèvent cette part croissante de femmes parmi les personnes en situation de pauvreté. En 2009, dans son rapport annuel, le Secours catholique observait la féminisation de la pauvreté et de la précarité, en particulier celle des jeunes mères seules en emploi précaire.
Christiane Marty, membre de la commission genre d’Attac
(1) CSI, Vivre dans l’insécurité économique : les femmes et le travail précaire, mars 2011.
(2) Chômage et emploi des femmes dans la crise en France, Françoise Milewski, Lettre de l’OFCE, mai 2010.
(3) Par emploi précaire, la CSI entend des formes de travail non-permanent, temporaire, occasionnel et aléatoire.
(4) Résolutions du 17 juin 2010 sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le contexte de la récession économique et de la crise financière et du 19 octobre 2010 sur les salariées précaires.