Santé Maternité des Lilas : une reconstruction dans la douleur
La construction de la nouvelle maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, devait commencer en octobre prochain. Or, l’ARS (1) d’Ile-de-France, dirigée par Claude Evin, ancien ministre PS de la santé, a suspendu officiellement le projet par un courrier reçu par la direction de la maternité le 20 juin dernier.
Un projet pourtant retenu en décembre 2008 dans le cadre du Plan hôpital 2012 (2) et validé par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé. Un financement de 6,6 millions d’euros est alors prévu, la région Ile-de-France, quant à elle, a voté une aide de 1,3 million.
« C’est le seul hôpital privé à but non lucratif d’Ile-de-France (3) à avoir été retenu pour le Plan hôpital 2012 cette année-là, c’est dire la qualité de notre dossier », explique Marie-Laure Brival, cheffe du service obstétrique de la maternité des Lilas où elle est gynécologue-obstétricienne depuis 1982. Elle est à l’origine du collectif de soutien à la maternité, créé en mars 2011.
Le projet est porté par le ministère donc, ainsi que le conseil général 93, la région Ile-de-France, la mairie des Lilas. Daniel Guiraud, maire PS de la commune, abandonne l’idée d’une transaction financière lucrative et préfère proposer un terrain à la maternité à deux pâtés de maison des locaux actuels. Le permis de construire validé le 30 juin, en septembre, les prêts sont accordés, 1,5 million d’euros d’argent public ont déjà été investis par la maternité pour les études préalables et l’immobilisation du terrain.
Pour Daniel Guiraud, « indépendamment de l’attachement que nous avons pour la maternité, qui fait partie de l’identité de la commune, nous nous sommes aussi engagés financièrement. Nous avons notamment gelé un terrain pour un projet qui a demandé 4/5 ans d’élaboration. Nous avons signé l’acte d’acquisition et garanti les emprunts de la maternité. Tout le monde a à y perdre dans cette affaire, y compris l’ARS, en termes de crédibilité ».
Des nouveaux locaux indispensables
La maternité des Lilas est un lieu à part et privilégie le respect de la physiologie de l’accouchement : préparations diverses à la naissance, durées d’hospitalisation adaptées aux besoins des mères, présence du père privilégiée, choix de la posture d’accouchement, accompagnement de l’allaitement… C’est aussi un lieu militant, qui a participé à toutes les luttes pour le droit des femmes à la contraception et à l’avortement. L’hôpital est aujourd’hui un centre référent pour la prise en charge des IVG jusqu’à 14 semaines.
Mais la reconstruction est devenue plus que nécessaire. Les locaux vétustes datent de 1964, et cette petite structure pratique en moyenne 1700 accouchements et de 1200 à 1300 IVG par an.
Les nouveaux plans prévoient 51 chambres, au lieu des 26 actuelles, ce qui permettrait de pratiquer 2500 accouchements par an, dans de bien meilleures conditions.
En fin 2006, lorsqu’un accord sur le terrain est trouvé avec la mairie, le projet prend corps, il a mis cinq ans à être élaboré. On ne peut pas vraiment parler d’un coup de tête.
« C’était beaucoup de travail. Cela s’ajoutait aux conditions de travail exécrables, aggravées par la série noire : la panne du monte-malade et des conflits internes avec les anesthésistes en désaccord avec la direction (4). Mais la perspective de travailler dans nos nouveaux locaux nous permettait de tenir », explique Marie-Laure Brival.
Le médecin nous fait part de certains arguments de l’ARS pour la suspension du projet.
Tout d’abord le manque de projet médical : « La maternité existe depuis près de 50 ans et est réputée dans la France entière. La prise en charge particulière que nous proposons nous apporte un taux de satisfaction de 95 %. Pensez-vous que les femmes qui consultent pour une IVG ou veulent venir accoucher dans des locaux de 1964, avec des douches et des toilettes communes, le font uniquement pour la qualité de l’hôtellerie ? »
Les femmes qui accouchent aux Lilas reviennent pour les accouchements suivants et parfois pour une interruption volontaire de grossesse. L’inverse est vrai aussi.
Marie-Laure Brival reste dubitative devant l’argument de l’ARS, évoquant une « situation budgétaire fragile, malgré un établissement sain financièrement » : « Si vous pouvez m’expliquer ce que cela veut dire… »
Mal entendants ? Mal disants ?
Patrick Hontebeyrie, délégué régional de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, a été missionné par la maternité en juillet dernier en tant que consultant, pour faire face aux injonctions de l’ARS. Or, début septembre, Claude Evin a chargé cette même personne de proposer un nouveau projet dans un délai de trois mois. « Je ne sais pas de quel côté il est. Il dit qu’il est là pour nous aider, mais maintenant il est payé par l’ARS. Je ne sais pas quel nom lui donner : un agent double, un liquidateur ? », s’interroge Marie-Laure Brival.
Mais que propose l’ARS ? « Rien ! Dans un premier temps, elle nous demandait de nous adosser physiquement à une autre structure hospitalière. Mais il n’y avait aucun terrain disponible, l’ARS elle-même n’y croit plus. Puis de mutualiser nos compétences avec une autre structure. Nous sommes prêts à une collaboration avec un hôpital : nous ne sommes pas fous, nous sommes médecins responsables ! Mais pas en si peu de temps ! Nous disposons de tout le temps de la construction, 24 mois, pour cette élaboration »
Lors d’une réunion le 8 juillet, à la mairie des Lilas, à l’initiative de Claude Bartolone, président du conseil général 93, en présence notamment de Claude Evin, directeur général de l’ARS, du maire des Lilas et de représentant-e-s de la maternité, François Crémieux, directeur du pôle Etablissements de santé de l’ARS, a proposé à la maternité de se rapprocher du fonds de pension Ramsay Santé, qui doit monter un pôle santé en Seine-Saint-Denis. « Il paraît que les personnes présentes ont mal entendu. Depuis on n’en entend plus parler… », raconte Marie-Laure Brival.
Mal entendants ? Mal disants ? La situation est dans une impasse. « On ne comprend pas ce qu’ils veulent. Fusionner, s’adosser, c’est impossible… On a peur qu’ils jouent seulement la montre, jusqu’au désengagement du personnel, qui n’en peut plus… Beaucoup sont déjà partis. »
Du côté de l’ARS, le son de cloche a un peu changé. Pour Nicolas Péju, directeur de la démocratie sanitaire, de la communication et des partenariats de l’ARS Ile-de-France, le principal point faible de la maternité est le recrutement. « Le personnel est tout juste suffisant, notamment chez les anesthésistes. C’est un équilibre instable qui ne peut pas perdurer. » Même s’il reconnaît que le manque d’anesthésistes est un problème général et non spécifique aux Lilas.
Il ajoute que le projet de reconstruction n’est absolument pas remis en cause mais que tous les enjeux n’avaient pas été identifiés par les organismes précédents (ARH) : « Il faut savoir comment l’activité de la maternité va évoluer et comment elle s’inscrit dans le territoire. Il n’y a pas d’opposition entre son autonomie, nécessaire, et une coopération avec un autre établissement. » Un adossement à distance à une autre structure hospitalière, donc.
Des recours juridiques
« Je suis confiant, la maternité travaille à répondre aux injonctions de l’ARS, en matière de recrutement d’anesthésistes, d’ouverture à des partenariats et d’adossement à distance à une autre structure, explique Daniel Guiraud. Si ce sont véritablement ces trois points qui posent problème, le projet va redémarrer. Reste à espérer une annonce rapide de l’ARS. »
Si les négociations n’aboutissent pas, le maire engagera des recours juridiques : « Nous avions la notification d’un accord, l’Etat s’était engagé à un financement de 6,6 millions d’euros pour la maternité. Il est hors de question que notre engagement financier passe par pertes et profits. »
Le collectif de soutien à la maternité des Lilas propose une pétition en ligne sur son site et organise une manifestation nationale le 24 septembre à partir de 10 h 30 devant la maternité, soutenue par le collectif Notre santé en danger et la Coordination nationale de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, au sein de laquelle milite Marie-Laure Brival.
Cette dernière raconte que Patrick Hontebeyrie, mandaté par l’ARS, lui a demandé d’arrêter le collectif, qui freinerait les négociations avec l’organisme, gênée par l’ampleur du mouvement. Elle se dit bousculée par le fait qu’il ait voulu lui faire assumer un éventuel échec : « J’ai proposé le collectif, aujourd’hui je n’ai plus mon mot à dire. Je n’ai aucun intérêt personnel dans cette histoire. En tant que médecin, je pourrais tripler mon salaire dans le privé. Les membres de collectif défendent un certain militantisme, une certaine utopie de la médecine et de la parentalité. Dans une logique de restrictions budgétaires et de constitution de gros pôles hospitaliers, c’est peut-être cela que l’on veut faire couler ! »
Catherine Capdeville – EGALITE
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(1) Les agences régionales de santé (ARS), crées en avril 2010, ont remplacé les agences régionales de l’hospitalisation (ARH). Leur champ de compétence dépasse celui des ARH, chargées uniquement des hôpitaux, et s’étendent à l’organisation de la médecine libérale et du secteur médico-social.
Dans chaque région, les services déconcentrés de l’Etat et ceux de l’assurance maladie sont désormais réunis. Ce qui inquiète aussi bien les syndicats de salariés associés à la gestion de l’assurance maladie, que les syndicats de médecins, soucieux de préserver le rôle central de l’assurance maladie dans le financement du système de santé. Certains y voient une porte ouverte à la privatisation de la santé et de l’assurance maladie…
(2) Le Plan hôpital 2012 est un programme de modernisation des établissements de santé : rénovation, reconstruction, équipement.
(3) La maternité des Lilas est un hôpital privé à but non lucratif géré par une association, faisant partie intégrante du service public.
(4) Le chef de service anesthésie a démissionné. Une nouvelle personne a été recrutée à ce poste.