Société Viol conjugal : retour sur un procès hors norme
Isabelle Steyer est avocate spécialiste des affaires de violences faites aux femmes. Récemment, elle a défendu une femme victime de viols conjugaux. Un fait rare, car neuf fois sur dix les femmes se rétractent en correctionnelle. Elle revient sur ce procès emblématique.
« Tout était extraordinaire, hors norme dans ce procès », explique Isabelle Steyer, dès les premières minutes de l’entretien. Il est rare d’être avocate dans une affaire de violences conjugales. Neuf fois sur dix, les victimes se rétractent devant le tribunal correctionnel et retirent leur plainte. » Madame M. est une de celles qui ont maintenu leur plainte et assisté aux audiences. La procédure judiciaire a duré deux ans. Son mari a été reconnu coupable de viol conjugal, elle a obtenu 600 euros de dommages et intérêts.
« Ça ne couvre même pas les frais d’avocat ! », s’exclame Isabelle Steyer. Ne parlons même pas du préjudice moral pour madame M., qui subissait les violences de son mari depuis douze ans. Madame M. a 40 ans et travaille en tant que serveuse au Sénat. Elle est mariée depuis quinze ans à monsieur M., maître d’hôtel dans un restaurant. Ils ont deux enfants, aujourd’hui adolescents.
Madame M. ne se couche plus avant 3 h du matin, toujours après son mari
Madame M. « comprend » qu’elle est victime de violences à partir de sa deuxième grossesse. D’après l’avocate, « la victime doit d’abord concevoir qu’elle en est une. Beaucoup nient l’être ». Comme dans de nombreuses affaires de violences conjugales, monsieur et madame M. reconnaissent avoir eu très peu de relations sexuelles, mais ils s’aimaient et ne souhaitaient pas se séparer. Monsieur M. devient violent pour obtenir des relations sexuelles avec sa femme.
Madame M. ne se couche plus avant 3 h du matin pour éviter les sollicitations de son mari. « Beaucoup de femmes victimes de violences s’occupent des tâches domestiques jusque très tard dans la nuit pour fuir leur mari », commente Isabelle Steyer. Madame M. est frappée parce que, même lorsqu’elle accepte les relations sexuelles, son manque de désir ne satisfait pas son mari. Tous les jours, elle doit également subir un lot d’insultes : elle est nulle, grosse, idiote…
Pourquoi ne réagit-elle pas ? « Il s’agit du manque de narcissisme de la part des victimes. Les agresseurs, eux, sont des sur-narcissiques. Chacun a un problème d’estime de soi, mais pas dans le même sens. » En outre, « ces femmes se mésestiment et se laissent déposséder de l’économie du foyer en laissant Monsieur tout gérer. Parfois, celles qui travaillent ne savent même pas combien elles gagnent. Elles ne savent donc pas être autonomes et ont peur de vivre seules. Celles qui ne vont pas jusqu’au procès ont souvent repris leur vie commune avec le mari violent. »
Un déclic pour que les violences cessent
Comme d’autres victimes, madame M. a eu une sorte de déclic, « une scène de non-retour, d’humiliation suprême. Son mari l’a sodomisée de force alors que les enfants dormaient dans la pièce voisine. C’était la première fois que c’était aussi violent, mais aussi la première fois que madame M. tenait tête à son mari et ne s’est pas soumise », explique Isabelle Steyer.
L’autre élément qui rend cette affaire « hors norme », c’est le rôle que chacune des personnes a pu jouer. Madame M. a parlé de la violence de son mari à un collègue ami de la famille. Celui-ci a organisé une confrontation avec le mari, qui a reconnu les viols et les violences. « Il est très rare que le viol soit avoué. Les auteurs sont souvent dans le déni et leurs victimes aussi. Les femmes confondent souvent le viol avec les obligations conjugales : « si je ne donne pas de sexe, je ne remplis pas mes obligations d’épouse ». »
Si monsieur M. n’a pas reconnu tout de suite les faits au début de l’instruction, il a fini par le faire en confrontation devant le juge. Mais, comme dans la plupart des cas, l’affaire a été renvoyée au tribunal correctionnel quand elle relevait des assises : « Il n’y a que les viols gravissimes avec acte de barbarie qui passent aux assises. Les autres sont renvoyés en correctionnelle et requalifiés en agressions sexuelles après avoir été jugés. Le dossier de madame M. était assez solide pour passer aux assises. Elle n’a pas souhaité y aller parce qu’elle ne voulait pas que son mari aille en prison. Mais les tribunaux proposent aussi cette requalification, parce que la justice n’a pas les moyens d’une audience de deux jours avec des jurés payés, et les prisons sont saturées. »
Monsieur M. a écopé de 18 mois de prison avec sursis et d’une mise à l’épreuve avec obligation de soins. Il n’a été jugé que pour le dernier viol, la requalification en agression sexuelle prescrit en effet toutes les violences antérieures à trois ans. Isabelle Steyer juge que les peines pour viol conjugal ne sont pas assez dissuasives : « Il faudrait quelque chose de plus coercitif. La réponse judiciaire n’est pas appropriée. Une peine de semi-liberté, par exemple, permettrait au coupable de travailler la journée, mais l’obligerait à dormir en prison. Le sursis, le mari ne l’a même pas senti passer. »
Louise Gamichon – EGALITE
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