Société Rapport Grésy : La mobilisation des hommes, un élément majeur du changement
Concept de parentalité, temps consacré au travail et aux tâches domestiques, stéréotypes, le rapport Igas de Brigitte Grésy paru en juin dernier examine les inégalités femmes/hommes à la loupe. La pierre angulaire du rapport n’est autre que le partage des responsabilités familiales qui comprend le temps consacré aux enfants et celui dédié aux tâches domestiques. Pourtant, la presse s’est focalisée sur la proposition d’allonger le congé paternité de 15 jours, sans changer la durée du congé maternité.
Brigitte Grésy explique la raison d’un tel succès médiatique : « C’était la notion la plus symbolique. Les médias se sont penchés sur cette proposition parce que le partage des responsabilités professionnelles et familiales pose la question de la place des hommes dans la sphère privée alors que jusque-là, c’était la place des femmes dans la sphère publique qui avait fait l’objet de rapports. » Les hommes sont au cœur de la réflexion menée par Brigitte Grésy, et ce, dès l’introduction du rapport : « La mobilisation des hommes constitue un élément majeur du changement. »
L’auteure du rapport explique pourquoi la question des inégalités femmes/hommes doit être considérée sous cet angle : « Je parle du partage des responsabilités familiales parce qu’un meilleur équilibre de la sphère publique et de la sphère privée est nécessaire. Le réajustement de ces deux sphères créée une double émancipation : les hommes s’émancipent de la sphère publique pour entrer dans la sphère privée, inversement pour les femmes. Si cet équilibre n’est pas trouvé, ce n’est même pas la peine de parler d’égalité. »
Les hommes, absents de la sphère privée
Malgré une volonté affichée des jeunes pères de s’occuper davantage des enfants, les femmes surinvestissent encore la sphère privée. L’un des exemples les plus criants est celui du partage des tâches domestiques au sein du couple. Le rapport révèle que : « Les femmes de 25 à 65 ans font une semaine de 35 heures de travail domestique non rémunéré […]. En prenant en compte une définition restreinte d’un travail domestique, ce dernier, valorisé au SMIC, apporterait une contribution à la production nationale équivalente à 17,5% du PIB. »
« La notion de juste partage des tâches domestiques est en fait injuste. Les femmes en effectuent 60 à 65% et ne trouvent la situation injuste qu’à partir du moment où elles assument plus de 70% de celles-ci. Le problème, c’est que les femmes se comparent aux autres femmes et pas aux hommes. De fait, il n’y a même pas de comptage. On est là en plein stéréotype avec effet de miroir : le ménage est » naturel » pour les femmes dans l’inconscient collectif » commente Brigitte Grésy.
Le réinvestissement des hommes dans la sphère privée est capital. Mais il se heurte aux exigences professionnelles et aux stéréotypes.
Les freins de l’égalité : l’organisation du temps de travail et les stéréotypes
Pour favoriser la présence des hommes dans la sphère privée, Brigitte Grésy propose que les entreprises adoptent des organisations du temps qui prennent en compte la parentalité.
Le rapport pointe de « bonnes pratiques » d’entreprises parmi lesquelles le développement du télétravail, les horaires de réunions en pleine journée ou la construction de crèches d’entreprise. Mais les sociétés qui mettent en place ce genre de dispositif sont encore trop rares. Dans de nombreux établissements, les hommes sont encouragés au « présentéisme », c’est-à-dire à rester à leur poste de travail quand bien même ils sont incapables de se concentrer sur leurs tâches au-delà d’un certain nombre d’heures. Ce phénomène les retient de s’investir davantage dans la sphère privée et entretient le mythe de l’homme absent qui rapporte l’argent à la maison (1).
« Les stéréotypes qui s’attachent aux hommes créent des rigidités, des verrous, des blocages contre lesquels les hommes pourraient s’insurger » explique Brigitte Grésy. Elle précise : « La lutte contre les stéréotypes est la plus difficile qui soit. La loi ne peut pas tout. Il faut également mener d’autres actions qui relèvent de la conviction ou de la persuasion à travers des campagnes publiques contre les stéréotypes, l’instauration de modules obligatoires sur ceux-ci à l’école, mais aussi au sein de l’entreprise grâce à des modèles qui acceptent d’intégrer la parentalité et mettent en place de bonnes pratiques à destination des parents. Les médias ont également un rôle à jouer en donnant une parole d’autorité à des personnes diverses et une parole d’émotion aux hommes. »
Réajuster les sphères publiques et privées engage donc à réviser l’organisation du temps de travail et plus globalement, les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. Pour y parvenir, Brigitte Grésy en appelle à une responsabilité collective : celle de l’Etat, des entreprises, de la société civile et du couple. Mais en pleine période de crise économique, est-il possible de bouleverser à ce point les modèles sociétaux ?
Un autre modèle de société
Brigitte Grésy explique que la crise a compliqué la donne : « L’égalité est la dernière roue du carrosse. Quand ça va mal, on dit que ce n’est pas le moment et qu’on verra plus tard, quand tout va bien, on dit qu’on verra après. Au niveau des décideurs, la crise ne change pas grand-chose. »
En revanche, l’auteure du rapport note l’émergence de deux phénomènes depuis quelques années : « La crise a écorné le modèle d’un leadership masculin. Ce type de leadership a montré les dégâts qu’il pouvait créer. L’absence de mixité au pouvoir, le modèle monovalent ont été catastrophiques. En parallèle, la crise a libéré une parole féminine sur internet et les réseaux sociaux. C’est une parole de liberté, qui affirme la compétence des femmes et refuse le modèle actuel de société. »
La question de l’égalité femmes/hommes ne peut être résolue qu’avec une transformation profonde de la société qui touche tant la sphère publique que la sphère privée. La crise économique est peut-être le moment de mettre à plat notre modèle de société pour passer à une version… 2.0.
Louise Gamichon – EGALITE
(1) A lire sur les stéréotypes dans le monde du travail : Petit traité du sexisme ordinaire de Brigitte Grésy aux éditions Albin Michel (15€).