Médias Journalisme : une féminisation « contrôlée » de la profession

Journaliste JRI © Guitté Hartog

Couverture « Le journalisme au féminin »L’ouvrage Le Journalisme au féminin, assignations, inventions, stratégies (1) coordonné par une groupe de chercheuses des universités de Rennes, Nantes et Brest, dirigées par Eugénie Saitta, Béatrice Damian-Gaillard et Cégolène Frisque s’inspire des interventions des différent-e-s participant-e-s d’un colloque organisé en Bretagne. Pour ces chercheuses, ce n’est qu’une première étape. Ce sujet n’a encore que très peu suscité l’intérêt du champ académique et il reste beaucoup à découvrir. D’autres travaux devraient suivre, notamment une comparaison avec d’autres professions, une enquête sur la précarisation du métier ou encore un questionnement sur les écritures féminines dans le journalisme politique.

En France, la profession de journaliste, largement masculine jusqu’aux années 1960/1970 s’est fortement féminisée. En 2009, les femmes représentaient 43% des professionnels des médias. Une situation contrastée d’un pays à l’autre en Europe. Ainsi, si le Portugal ou la Suède sont proches de l’équilibre, l’Italie, la Suisse ou la Belgique connaissent un taux de féminisation plus faible que la France.

En France, plus de femmes donc, mais aussi plus de journalistes tout court. Entre 1997 et 2008 le nombre de journalistes a connu une augmentation de 24%. Et parmi les nouveaux entrants, près de 55% sont des femmes. On constate aussi l’élévation du niveau moyen de diplôme, les femmes étant plus diplômées que les hommes. En parallèle, les générations âgées, très largement masculines, partent en retraite.

Des femmes plus visibles qui cachent des inégalités

On pourrait donc penser que la situation devient idéale pour les femmes dans ce métier. Pourtant, les chiffres montrent qu’elles souffrent davantage du chômage et de la précarité. Elles sont ainsi sur-représentées chez les pigistes (45%) et les demandeurs d’emploi (60%). A la télévision, par exemple, elles semblent plus nombreuses que les hommes car elles sont plus visibles, mais derrière chaque femme présentatrice de JT, c’est toute une équipe d’hommes qui travaille.

Les femmes journalistes sont aussi moins souvent cadres que leurs homologues masculins (25% contre 38%) et bien sûr encore moins présentes aux postes les plus élevés dans les rédactions : 6,3% de femmes sont directrices de rédaction ou rédactrices en chef contre 12,9% d’hommes.

Longtemps cantonnées à la presse féminine, les femmes journalistes ont désormais pu élargir leur champ d’activité. Malgré tout, elles restent majoritaires dans la presse périodique (presse spécialisée, technique ou professionnelle, presse institutionnelle) et sont toujours minoritaires dans la presse quotidienne régionale, les télévisions régionales et les agences photographiques.

Souvent, dans les rédactions, elles se voient attribuer les rubriques à connotation féminine comme la mode, la culture ou la société, des domaines qui semblent un prolongement des rôles qui leur sont socialement assignés : soin, éducation, humanité ; la politique notamment restant largement le domaine des hommes. A la rubrique sportive, les femmes couvrent généralement les disciplines perçues comme conformes aux rôles sexués féminins (patinage artistique, natation synchronisée, gymnastique) ; des domaines de l’information qui bénéficient eux-mêmes d’une moindre visibilité que les autres sports.

Enfin, les salaires des femmes journalistes sont inférieurs à ceux des hommes.

La féminisation du métier s’accompagne donc de nombreuses inégalités qui en limitent nettement la portée.

Plus compétentes mais surveillées

A l’occasion des Journées de la femme à Rennes en mars dernier, la chercheuse Eugénie Saitta avait surpris l’auditoire (largement féminin) en déclarant : « quand une femme journaliste atteint un certain niveau de responsabilité dans une rédaction, ça ne change rien ». Une assertion qui s’appuie sur une étude réalisée dans l’audiovisuel public suédois.

En effet, dans les médias dirigés par des femmes, on constate que la parité n’est pas mieux respectée et que les règles de répartitions du travail restent inchangées. Les femmes qui accèdent à des postes à responsabilité tendent généralement à adopter les mêmes modes de fonctionnement que les hommes à ces mêmes postes.

« Les femmes qui atteignent ces fonctions sont souvent plus compétentes que leurs homologues masculins, explique Eugénie Saitta. Mais une fois le pouvoir acquis, elles sont particulièrement contrôlées, regardées par leurs collègues masculins dans leurs moindres faits et gestes parce qu’on pense qu’elles pourraient favoriser des femmes. Certaines, à la marge, essaient d’introduire des changements, mais ça reste difficile. »

Geneviève ROY – EGALITE

(1) Le journalisme au féminin, assignations, inventions, stratégies, sous la direction de Béatrice Damian-Gaillard, Cégolène Frisque et Eugénie Saitta, Presses Universitaires de Rennes, octobre 2010

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