Société « La contrainte morale n’est pas assez reconnue dans les affaires de viols »
Brigitte (*) avait porté plainte contre son employeur, M. X (*), pour viols. Après une première ordonnance de non-lieu, elle saisit l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui se porte partie civile. Après un appel, la chambre de l’instruction ordonne une mise en accusation devant la cour d’assises. Le procès a lieu début 2011 et M. X est acquitté.
Après l’ordonnance de non-lieu, Brigitte avait alerté quelques personnes sur la dangerosité de M.X, qui la poursuit en diffamation. Brigitte a été condamnée en mai.
L’AVFT a été créée en 1985, elle accompagne les victimes de violences au travail. L’association compte une centaine de dossiers ouverts par an et environ 300 dossiers suivis par an.
Gwendoline Fizaine, chargée de mission à l’AVFT, revient sur deux procès décevants.
Pourquoi Brigitte a-t-elle été attaquée en diffamation ?
Brigitte a porté plainte pour viols contre M. X, directeur d’une maison de quartier où elle était animatrice. Le juge d’instruction prononce alors un non-lieu.
Dans la synthèse de cette ordonnance on trouve des témoignages de jeunes filles de 12/13/14 ans, allant de comportements vaguement malsains à des attouchements sexuels, et d’animatrices en stage Bafa, comme Brigitte, qui parlent de harcèlements sexuels allant jusqu’à des viols.
Ce qui était difficile pour Brigitte c’est qu’il n’ait pas été interdit à cet homme d’encadrer des enfants.
A l’occasion d’un loto organisé par la maison de quartier, elle s’est adressée à quelques participants en leur disant que cet homme était dangereux.
Pourquoi a-t-elle perdu ce procès ?
Contrairement à la dénonciation calomnieuse, un délit de diffamation peut être constitué même si ce qui est jugé diffamant est vrai. Brigitte pouvait être condamnée même si elle disait la vérité.
Elle a été condamnée à une peine symbolique de 300 € avec sursis et 100 € de dommages et intérêts pour le plaignant. C’est une peine relativement clémente mais le verdict est décevant. Après l’acquittement de M. X en cour d’assises, c’est un coup dur pour elle.
Revenons sur le procès en cour d’assises…
Le dossier de Brigitte est très emblématique de beaucoup de dossiers que l’on suit à l’AVFT : des cas de viols par contrainte morale.
Lorsqu’un contrat de travail ou une promesse de contrat de travail lie l’agresseur à la victime, on peut éliminer d’office, parmi les modes opératoires de viols : la violence, la surprise, et dans une certaine mesure les menaces. Ne reste que la contrainte morale, qui fait l’objet d’un no man’s land juridique total. La contrainte physique est beaucoup mieux reconnue.
Que la chambre de l’instruction estime qu’il y ait assez de charges pour que l’affaire soit envoyée devant la cour d’assises était une promesse d’évolution des mentalités et du droit vers la reconnaissance que des actes sexuels dans ces circonstances-là pouvaient être qualifiés de viols. Mais cette décision n’a pas de valeur jurisprudentielle, ce n’est que la phase de l’instruction.
C’était une très bonne décision de la chambre de l’instruction de reprendre certains argumentaires, notamment ceux de l’AVFT, concernant la contrainte morale.
Les viols subis passaient en cour d’assises, alors qu’ils sont souvent jugés en correctionnelle, donc déqualifiés en agressions sexuelles.
Pour une fois la chambre de l’instruction avait renvoyé l’affaire devant la bonne juridiction.
Hélas, seule la reconnaissance des viols par les assises aurait pu faire jurisprudence.
Pourquoi M. X a-t-il été acquitté ?
On ne peut pas le savoir. En droit, il n’y a pas de motivation des arrêts de cour d’assises. On ne peut pas savoir combien de personnes du jury ont acquitté ou condamné M. X.
Une de nos hypothèses est que les viols sous contrainte morale ne rentrent pas dans les schémas habituels.
Pour un jury populaire, il est difficile de concevoir des viols répétés sur plusieurs mois par une personne connue de la victime. De nombreuses personnes ont témoigné que Brigitte et M. X travaillaient en bonne intelligence. Que pendant les activités organisées par l’association, Brigitte et M. X étaient assis l’un à côté de l’autre…
Beaucoup de personnes se font une idée de ce à quoi ressemble une victime de viols. Et Brigitte ne correspondait pas à ce portrait. Elle aurait dû être effondrée, anorexique ou obèse, démissionner, pleurer devant tout le monde, faire plusieurs tentatives de suicides…
Or, elle faisait tout pour que cela ne se voit pas. Beaucoup de victimes abimées par un, deux, trois, quinze viols, ne sont plus en possession de leur volonté, de leur propre corps. Elles sont tellement dégradées à leurs propres yeux que ça ne vaut plus la peine de résister. Le processus d’emprise et de manipulation est tel qu’elles pensent que c’est de leur faute, que si elles en parlent tout retombera sur elles.
Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE
(*) Les noms ont été changés.