Non classé « Le milieu de la culture est totalement rétrograde en matière d’égalité »

Photo du spectacle « Les Petites empêchées » de Carole Thibault © Geoffroy Demarquet

Article paru dans le numéro 125 de Clara Magazine

Carole Thibaut, metteuse en scène et comédienne, est membre du bureau de l’association H/F Ile-de-France. Dans la création ou dans l’action, elle milite pour une plus juste représentation des femmes dans l’art… dans la vie.

L’association H/F Ile-de-France s’est créée en 2009, se fédérant à H/F Rhône-Alpes créée en 2008. Elle appelle à l’émergence d’autres H/F en région. Ce réseau a vu le jour à la suite du rapport Reine Prat, chargée de mission pour l’égalité H/F dans les arts du spectacle à la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la Culture. Ce rapport à fait l’effet d’une bombe en 2006. Il a révélé par les chiffres que le milieu de la culture n’était ni exemplaire ni ouvert d’esprit mais aussi machiste que le reste de la société. Je veux le dire haut et fort, le milieu de la culture est ringard et totalement rétrograde en matière d’égalité. Nous avons plusieurs objectifs : sensibiliser et informer le public, les élu-es et les professionnelles sur la situation de la représentation des femmes dans le monde de la culture, être un observatoire vigilant et permettre aux femmes de prendre toute leur place dans la création et la gestion de structures culturelles.

Les inégalités de genre sont méconnues des partenaires culturels. Les artistes femmes doivent être déculpabilisées. Quand elles ne sont pas prises elles se remettent en question. Leur déception n’est pas une histoire de talent ni une fatalité, mais un problème de société. L’univers du spectacle vivant est tenu par de vieux barons accrochés à leur siège à qui succèdent de jeunes barons. Le système se reproduit par les adoubements patriarcaux. Au moment de nommer les directions de Centres dramatiques nationaux (CDN), cyniquement les directeurs ferment les yeux sur des pratiques discriminatoires. En phase finale de recrutement, sur la short list de 5 ou 6 candidats, on propose une femme alibi qui ne sera pas retenue.

Les femmes sont victimes des quotas masculins à inverser

Les réflexions sont inadmissibles : « On doit mettre une femme même si ça empêche de faire monter un candidat valable. » Comme si les femmes ne pouvaient pas diriger un CDN ! On ne peut pas laisser les femmes seules face à ce constat, mais analyser le phénomène. Le monde culturel rit des quotas dans les grandes entreprises mais quand on voit les chiffres, il y a de quoi pleurer.

La liberté de création sacralisée ne peut justifier ces choix inégalitaires. On a beau jeu de dire qu’on ne peut rien faire. Femmes ou comédiens issus de l’immigration sont peu visibles et finalement pas programmés.

Nous avons plusieurs pistes pour changer ce système sclérosé : informer pour créer le choc et bouger les grilles de lectures. Nous travaillons à la mise en réseau de toutes celles et ceux qui dénoncent l’inégalité professionnelle toutes branches confondues. Je crois aux quotas en politique et dans les métiers car les mêmes causes donnent les mêmes effets.

Aujourd’hui, quand 95 % des textes et productions sont réalisés par des hommes, ils se taillent la part du lion et quand 90 % des directeurs de théâtre sont des hommes, nous les artistes femmes sommes en vérité victimes de quotas masculins que nous voulons inverser.

Propos recueillis par Carine Delahaie – Clara Magazine

Illustration : Photo du spectacle « Les Petites Empêchées » de Carole Thibault © Geoffroy Demarquet

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