Tribunes « Jean Paul II a eu une influence désastreuse sur les droits des Polonaises »
Le 1er mai, le pape Jean Paul II a été béatifié. De nombreuses délégations étrangères, dont plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement ont pris part a cet événement. Preuve que l’alliance du trône et de l’autel tient bon.
Maintenant que la poussière est retombée sur la place Saint-Pierre, il est temps de regarder d’un œil froid l’œuvre du nouveau bienheureux. Ce sera un point de vue féministe. Et sous cet angle, le pontificat du pape polonais et son influence sur le droit et la vie des femmes en Pologne (mais aussi en Europe et dans le monde) ne soulève pas l’enthousiasme.
Le rôle de Jean Paul II dans l’effondrement du bloc dit communiste est indiscutable. Sa contribution au démontage de l’Etat laïc en Pologne et à sa cléricalisation progressive ne saurait être sous-estimée non plus. Les Polonaises ont payé le prix fort de cette évolution, en perdant leurs droits reproductifs et sexuels.
L’avortement autorisé en 1956… et interdit en 1993
Suite à la légalisation de l’avortement en 1956, les Polonaises ont pu profiter du droit de disposer librement de leur corps durant 37 ans. En 1993, sous la pression de l’Eglise catholique, l’IVG fut interdite. Après avoir totalement négligé une immense initiative des citoyennes et citoyens polonais – une pétition de 1,5 million de signatures réclamait un référendum sur ce sujet –, la Diète polonaise a voté une loi anti-avortement très restrictive. La loi de « protection de la vie conçue » n’admet en effet que trois motifs d’avortement légal : acte criminel, danger pour la vie ou la santé de la mère, malformations graves du fœtus.
Mais une fois l’IVG interdite, les médecins refusent de pratiquer l’avortement même légal pour clause de conscience. Cette loi a causé des conséquences graves pour la santé et la vie des femmes en Pologne, comme Alicja Tysiąc, qui risquait la cécité, et Agata Lamczak, morte du refus d’une thérapie qui aurait pu être nocive pour le fœtus. Elle a été à l’origine de souffrances pour les enfants nés avec des malformations graves. Barbara Wojnarowska, qui avait déjà un enfant invalide, s’est vue refuser des examens prénatals pour une autre grossesse.
Une autre victime emblématique de cette loi, une adolescente de 15 ans dont la situation rentrait dans le cadre d’un avortement légal. La mère de l’adolescente et elle-même ont présenté trois fois par écrit la demande d’avortement mais les hôpitaux l’ont à chaque fois refusée. Dans un hôpital, elles ont été harcelées par un prêtre catholique et des activistes « pro-vie ». La fille a été séparée de sa mère et mise dans un centre éducatif d’urgence pour les adolescent-e-s. Libérée grâce aux protestations des féministes, elle a pu avorter le dernier jour du délai légal.
Education sexuelle et contraception inaccessibles
La contraception moderne comme la pilule du lendemain est inaccessible, les contraceptifs sont vendus sur ordonnance médicale mais ne sont pas remboursés, et de nombreux médecins ne veulent pas les prescrire, toujours par clause de conscience. Aujourd’hui, les pharmaciens réclament aussi le droit à cette clause.
Il n’est rare que des prêtres refusent la confession ou la communion à des femmes qui prennent des contraceptifs.
L’éducation sexuelle est presque inexistante, et dans certains cas ce sont les aumôniers et les bonnes sœurs qui l’enseignent. On ne devrait pas être surpris que les adolescent-e-s adressent à des ONG des questions aberrantes du type « les boissons alcoolisées protègent-elles d’une grossesse ? » ou « risque-t-on de tomber enceinte en avalant le sperme ? »
Le conservatisme de Jean Paul II et surtout sa croisade contre l’avortement et la contraception ont provoqué le recul des droits des Polonaises mais aussi la détérioration de leur vie. Une influence néfaste qui a causé la régression de la situation des femmes dans le monde entier.
Nina Sankari, présidente du réseau EFI Pologne (Initiative féministe européenne Pologne) et membre du secrétariat européen du réseau Initiative féministe européenne.