Non classé Le Niger abandonne le statut personnel sous la pression d’associations islamiques
NIAMEY , 18 mars (IPS) – Face à la fronde des associations islamiques, le gouvernement de transition au Niger a finalement renoncé à l’adoption de l’avant-projet de Statut personnel du Niger (SPN) qui vise, selon les auteurs du document, à promouvoir et à renforcer l’équité de genre dans le pays.
« Je vous affirme ici, de façon solennelle, qu’il n’a jamais été question pour le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) et le gouvernement de l’adoption d’un tel projet », a déclaré le ministre de l’Intérieur, Ousmane Cissé, au cours d’une rencontre avec les représentants des associations islamiques, le 4 mars, à Niamey, la capitale nigérienne.
« Un tel projet, nous le savons, avait en son temps suscité beaucoup de réactions et de soubresauts dans notre pays. En conséquence, il doit faire l’objet d’un large consensus et cadrer avec nos valeurs morales et spirituelles », ajoute Cissé.
Cet avant-projet de statut personnel – ou Code de la famille – élaboré par un comité technique sous la tutelle du ministère nigérien de la Population, de la Promotion de la femme et de la Protection de l’enfant, est un document d’une centaine de pages composé de 10 livres, eux-mêmes subdivisés en chapitres et titres, regroupant au total 530 articles.
Un texte pour réduire les injustices en matière de répudiation et d’héritage
Entre autres points, ce texte, qui s’applique exclusivement aux Nigériens de confession musulmane d’après son préambule, traite du pacte du mariage et sa dissolution, de la naissance et ses effets, des successions, de l’adoption, et introduit de nouvelles dispositions comme le testament, la donation entre vifs, les notions de capacité et de représentation au sein du foyer…
Par exemple, sur la dissolution du pacte de mariage, l’article 65 du document stipule : « Le recours à la dissolution du mariage, par répudiation ou par divorce judiciaire, ne devrait avoir lieu qu’exceptionnellement et en prenant en considération la règle du moindre mal, du fait que cette dissolution entraîne la dislocation de la famille et porte préjudice aux enfants. »
Les regroupements d’associations islamiques du pays, qui rejettent en bloc le document qu’ils qualifient de « païen et féministe », ont déclenché leur fronde à la suite de son amendement, sa validation « en catimini », affirme à IPS, Harou Sani, un militant du Collectif des associations islamiques du Niger (CASIN), basé à Niamey.
« Aucune de nos structures n’a été associée à l’élaboration de ce projet, qui contrarie ouvertement la législation islamique à travers plus de 60 de ses articles. C’est le Code de la famille que nous avons toujours combattu qu’ils ont voulu réintroduire sous une nouvelle dénomination, avec la collaboration de quelques marabouts avides d’argent », soutient Sani.
« Il y a eu un certain nombre d’individus que le ministère a associés, mais qui ont parlé en leur nom, pas au nom des associations islamiques qui ont été écartées du début jusqu’à sa popularisation », renchérit Chaïbou Maman de l’Association des jeunes musulmans du Niger (AJMN) à Niamey.
Pour les associations contestataires parmi lesquelles des organisations féminines, « le texte vise, entre autres, à imposer la monogamie aux musulmans, corrompt les conditions de divorce et le système d’héritage, et encourage la fornication en rendant difficile le mariage ».
« Nous n’avons nul besoin dans notre pays, qui est à plus de 98% musulman, d’une législation en porte-à-faux avec les préceptes de l’islam et les enseignements du prophète Mohamed », clame Halimatou Daouda de Djamiya, un regroupement de femmes musulmanes, basé à Niamey.
« Une interprétation erronée du document »
Du côté des partisans du projet, les arguments ne manquent pas pour justifier le bien-fondé de ce statut. « La vive contestation à laquelle on a assisté résulte d’une interprétation erronée de certaines dispositions du document », explique à IPS, Boubacar Mahamadou, un religieux instruit à Niamey.
« Il n’est nullement question de mettre de côté l’islam dans la gestion familiale. Le texte vise simplement à réduire certains abus commis actuellement sous le couvert de la religion comme les répudiations intempestives sur des bases illégales ou les injustices criantes qu’on observe parfois dans le partage de l’héritage », ajoute Mahamadou.
Cette vision est partagée par Mariama Adamou, une activiste des droits de l’Homme à Niamey, qui pense qu’il faut bien briser un jour cette résistance des islamistes à toute velléité de réorganisation des rapports familiaux.
Parmi les dispositions promouvant les droits de la femme, figure celle portant sur les successions traitées dans l’article 180 : « La succession consiste dans la dévolution, à des personnes qui ont légalement droit, de la propriété des biens par suite du décès constaté ou présumé de son titulaire. »
« La démocratie en vigueur dans notre pays ne saurait s’accommoder éternellement de certaines pratiques dont sont victimes beaucoup de femmes dans notre pays, à cause d’une mauvaise application des préceptes de l’islam », souligne Mariama Adamou.
Pour Idé Boureïma, un juriste à Niamey, le texte comporte beaucoup d’avancées en matière de promotion des droits des femmes, mais ses auteurs ont péché en le personnalisant et en écartant les associations dans le processus de son élaboration et de sa popularisation.
« Une loi doit être impersonnelle, mais dans le cas précis, elle cible exclusivement les musulmans alors que le Niger est un pays laïc », explique Idé Boureïma à IPS.
Pour contraindre les autorités de la transition à renoncer à l’adoption du document, les islamistes ont usé de tous les moyens légaux dont ils disposent (prêches, prières collectives, marches de protestation, incinération publique d’une copie de l’avant projet).
« Le ministre de l’Intérieur a promis que le texte ne sera pas adopté, mais nous restons vigilants. Cela fait près d’une vingtaine d’années qu’on tente de nous imposer le Code de la famille sans succès et quiconque s’y aventure nous trouvera sur son chemin », avertit Hamza Souleymane, de l’AJMN.
Ousseini Issa, IPS