Contributions Onu-Femmes : de l’enthousiasme et de la vigilance… par Elisabeth Hofmann, coordinatrice du réseau Genre en Action
Michelle Bachelet, l’ex-présidente du Chili, a été nommée le 14 septembre à la tête d’Onu Femmes, la nouvelle entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Avancée politique majeure ou poudre aux yeux institutionnelle ?
Que dire encore d’Onu Femmes (www.unwomen.org), cette nouvelle organisation qui a fait couler tant d’encre déjà ? Créée le 2 juillet 2010, elle rassemble sous sa coupe les activités de plusieurs organes déjà existants relatives aux questions concernant les droits des femmes* et sa création a été saluée quasi unanimement, sa « patronne », Michelle Bachelet, louée élogieusement.
Il est indéniable que la création de cette structure « disposant de pouvoirs puissants et chargée d’accélérer l’amélioration de la condition des femmes et des filles dans le monde », comme l’indique l’AFP, est en soi un événement fort dans sa symbolique. Elle est surtout le résultat d’une campagne de plaidoyer sans précédent, la GEAR (réforme de l’architecture pour l’égalité de genre – http://www.gearcampaign.org/), qui a duré plus de quatre ans. Cet aspect est très important car les initiatives de la société civile qui réussissent ne courent pas les rues.
C’est sa place dans l’organigramme onusien qui mérite d’être soulignée : Onu Femmes sera dirigée par une secrétaire générale-adjointe (pour ne pas utiliser la traduction plus directe du titre : sous-secrétaire générale), sous l’autorité directe de Ban Ki-moon. Cet élément formel représente une vraie avancée et crée le potentiel de placer les questions liées aux droits des femmes plus haut sur l’agenda.
La nomination de Michelle Bachelet correspond bien à la logique onusienne : internationalement connue, ancienne présidente du Chili, elle jouit d’une reconnaissance parmi ses anciens « pairs », les cent quatre-vingt-douze chefs d’États qui composent l’Assemblée Générale de l’ONU. Dans un entretien accordé au Monde fin septembre, Michelle Bachelet indique que ses priorités seront de combattre les violences domestiques et sexuelles, ainsi que de lutter contre les conséquences de la crise qui frappe sévèrement les femmes. Rappeler, comme elle le fait, que le champ des violences à l’égard des femmes n’est pas couvert par les OMD, alors que ce problème traverse toutes les sociétés sans exception, qu’il faut réduire l’immense fossé qui existe entre les législations qui protègent les femmes — il en existe beaucoup — et leur application qui reste très faible, qu’il faut aussi faire de la prévention, à commencer par l’éducation à l’égalité et à la sexualité à l’école, est une entrée en la matière très encourageante. Rappeler aussi que la crise économico-financière actuelle ne doit pas détourner l’attention des femmes, car leur chômage a augmenté plus vite que celui des hommes, avec des conséquences en cascade : quand les femmes perdent leur emploi, on voit augmenter le nombre d’abandons scolaires par exemple.
Investir dans les femmes ?
Dans le même entretien, la patronne d’Onu Femmes montre aussi qu’elle est bien du sérail : elle veut demander aux États membres d’augmenter leur participation à ONU Femmes, de « faire un investissement « dans » les femmes ». C’est le jargon qui a le vent en poupe aussi au sein de l’OCDE et la Banque Mondiale et même dans certaines grandes ONG. Ce glissement dans le langage « économiciste » qui fait grincer les dents n’est pas de bon augure, des investisseurs voulant un retour sur investissement… Une fois de plus nous sommes dans la promotion de la « wonderwoman », cette femme miracle qui ne compte pas ses heures, qui est capable d’être à la fois une entrepreneure fiable, une militante dévouée, une élue ou cheffe toujours à l’écoute, une mère de famille et soignante bénévole, un pivot de la communauté et de la société, qui assume ses responsabilités souvent avec peu ou pas de soutien des hommes et qui prend trop peu de temps pour s’occuper d’elle-même, de sa santé, de son bonheur personnel, de son envie de rire, de danser, d’aimer et d’être aimée … bref, qui peut représenter un placement rentable.
Le prochain élément sera alors d’autant plus déterminant pour la pertinence de cette nouvelle structure onusienne : comment la société civile va-t-elle participer à cette entité ? Quels mécanismes de partenariat avec des ONG locales, régionales et internationales seront mis en place ? Globalement, l’architecture onusienne prévoit bel et bien une participation de la société civile, mais celle-ci se réduit habituellement à des temps de parole extrêmement courts dans le cadre de consultations où les échanges dignes de ce nom n’existent pas. Est-ce qu’Onu Femmes pourra proposer autre chose que ces mécanismes habituels qui ne sont accessibles qu’aux grosses ONG très professionnalisées ? GEAR a déjà souligné que le processus de nomination de Michelle Bachelet, une des vingt-cinq candidates, n’a pas brillé par sa transparence ou par l’ouverture à la participation de la société civile…
Il faut donc veiller à ce qu’Onu Femmes ne devienne pas une petite entité décorative (pour ne pas dire « potiche ») à la tête de l’ONU, car l’enthousiasme ne doit pas cacher certaine réalité : les 500 millions de dollars visés pour ONU Femmes (dont pour l’instant seulement un tiers sont effectivement acquis) représentent le double du budget actuel des quatre entités qu’elle remplacera, mais doivent être comparés avec les 3 milliards de l’Unicef et les plus de 5 milliards du PNUD. Avec moins de 300 personnes, le futur effectif estimé d’Onu Femmes sera un poids plume face à celui de l’Unicef (7 200 personnes), du PNUD (3 334) ou même de l’ONUSIDA (900). À suivre…
Elisabeth Hofmann, coordinatrice réseau Genre en Action
* la Division de la promotion de la femme (DAW), l’Institut international de recherche et de formation pour la promotion de la femme (INSTRAW), le Bureau de la Conseillère spéciale pour la problématique hommes-femmes (OSAGI) et le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM).