Contributions Des chaussons aux crampons
Marianne Darmon est une jeune étudiante aussi à l’aise en tutu qu’en crampons sur un terrain de rugby. Témoignage.
Quoi de plus banal qu’une petite fille qui enfile chaque semaine depuis l’âge de trois ans des chaussons en cuir rose ?
Cela l’est tout de suite moins lorsque ces derniers sont chaussés à la suite de crampons. Aujourd’hui encore il m’est difficile d’analyser cette intrusion d’une ballerine âgée de 13 ans dans le monde si singulier du rugby – car c’est bien de rugby qu’il s’agit. Quelle satisfaction éprouverait donc une jeune fille au port de tête altier à s’emboutir dans une mêlée ? Des journées portes ouvertes au stade m’amènent par hasard à percuter de toutes mes forces un bouclier. S’en suivent deux merveilleuses années à jouer avec mes coéquipiers, puisque c’est bien au milieu de garçons que j’évolue au poste de pilier – l’entraîneur affirmait qu’il était déroutant pour l’adversaire d’avoir en face une jeune fille à « désosser », au grand dam de ma professeur de danse qui me sommait de tendre mes pointes de pieds que je ne sentais plus après qu’ils avaient gelé deux heures durant dans des crampons boueux en plein hiver et ce malgré la douche qui me servait de pause entre mes deux activités diamétralement opposées. Elle tremblait tout comme ma mère de me voir arriver estropiée. Il y eut certes une arcade sourcilière à recoudre, des dents avancées d’un grand dadet plantées à proximité de mon œil et des hématomes aux hanches à faire pâlir d’envie un caméléon, mais il y eut surtout cette fameuse « école de la vie », ce dépassement de soi et des amitiés sur et en dehors des terrains.
Je ne dis pas que mon intégration fut immédiate – nous parlons tout de même d’adolescents de 13 ans ! – mais le processus s’est vite enclenché, peut-être grâce à mon unique homologue féminine qui avait déjà tracé un sillon avant moi au sein de l’équipe. Nous étions toutes deux traitées comme n’importe lequel de nos acolytes, même s’il est arrivé à plusieurs reprises d’échanger de mauvais coups dans les mêlées avec certains de nos adversaires pour des histoires de cheveux tirés ou de mots déplacés. Le célèbre esprit d’équipe n’en était que plus probant si l’une de nous deux était prise pour cible, mais nous ne bénéficiions pas pour autant d’une protection particulière due à notre sexe. Jouer contre une fille peut aussi faire naître des réactions parfaitement contraires : je me souviens de jeunes joueurs déstabilisés par cette présence féminine, s’excusant après un plaquage et hésitant à s’impliquer pleinement dans un regroupement lorsqu’une queue de cheval dépassait…
De mes matches et tournois me restent de nombreux souvenirs que très peu de filles peuvent se vanter d’avoir comme des batailles de polochons dans des dortoirs de garçons. Ma propension à parler assez crûment et des expressions peu recommandables sont sans doute un vestige de cette époque…
Époque qui se termina pour moi la mort dans l’âme, la fédération interdisant aux filles de jouer en Cadets et je refusai d’être surclassée en Féminines ce qui m’aurait obligé à jouer avec les mères de mes coéquipiers.
Je pensais avoir refermé cette parenthèse rugbystique qui étonnait mon entourage, mais mon admission à Sciences-Po Toulouse quelques années plus tard me la fit rouvrir : il aurait été dommage de ne pas rechausser les crampons sur les terres du rugby-roi ! D’autant plus que l’école abrite une magnifique association sportive : les GORETS (Gentils Organisateurs du Rugby Etudiant Toulousain). Cette famille voit évoluer en son sein une équipe féminine et une équipe masculine dont les performances sportives – respectivement en 2010 championne universitaire de l’académie de Toulouse et vainqueur du Crit opposant les neufs Instituts d’Études Politiques de France – mais aussi les performances festives en font une véritable institution au sein de l’IEP. Je suis donc redevenue une rugbywoman au milieu d’autres rugbywomen : le sport reste le même, l’aventure humaine du fait d’une certaine maturité et de coéquipières remarquables n’en est que plus intense.
Le ballon ovale étant une quasi religion dans la ville rose, le fait d’y voir des jeunes femmes en tenue de rugby dans la rue y est sans doute moins surprenant qu’ailleurs en France.
Cependant lorsque je dis que je fais du rugby, la réaction est presque immanquablement « Ah ? tu n’as pas vraiment le physique d’un Szarzewski ou d’un Dusautoir… » mais force est de constater que cette activité est rarement à mon désavantage. Ainsi le consul qui m’a prise en stage m’a confié avoir retenue ma candidature parmi d’autres à niveau d’études égal parce qu’il avait vu dans mon CV que je pratiquais le rugby.
Et pourtant nous sommes des filles aussi féminines que les autres, remaquillées à la sortie des vestiaires, sans un physique d’athlète de la RDA, ce qui fait se demander aux hommes si nous pratiquons un « vrai rugby ». Ceux qui sont venus constater que nous le pratiquons dans les règles de l’art et sans demi-mesure viennent étoffer les rangs de nos supporters et nous encourageront en mars 2011 au Crit à Paris.
Marianne Darmon. Etudiante en sciences politiques