Société On peut être féministe américaine et condamner la loi française contre le port du voile intégral
Paradoxe des paradoxes : alors que la loi qui interdit le port du voile intégral a été votée en France dans un consensus rare et que le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat est sorti début septembre (1), c’est aux États-Unis qu’elle a provoqué des remous dans l’opinion publique. Elle y a fait couler beaucoup d’encre en heurtant la définition la plus simpliste de la liberté, dans un pays où la notion de laïcité est très vague.
« On doit pouvoir s’habiller comme on veut », nous objecte-t-on de tous les bords. Que cette réplique vienne de libéraux, cela n’est guère étonnant ! Mais lorsque ce sont des féministes aguerries qui nous apostrophent ainsi, nous nous trouvons engagées dans ce qui ressemble vite à un dialogue de sourdes !
Martha Nussbaum, Judith Butler : les sopranos du féminisme américain égrènent les objections à une loi qu’elles contestent sous tous les angles, et le New York Times leur a servi de tribune tout l’été.
Au motif sécuritaire qu’il convient de voir le visage de tout(e) citoyen(ne) pour l’identifier, et au motif social que les relations ne peuvent s’établir qu’entre personnes qui se voient et se reconnaissent, nos amies américaines rétorquent avec une certaine légèreté que, par très grand froid, dans le nord de l’Amérique, les gens sont tellement emmitouflés qu’ils ne sont ni identifiables ni reconnaissables… Que les dentistes, les chirurgiens, les skieurs et les patineurs ne le sont guère plus ! Et que d’ailleurs les nouvelles mesures de sécurité mises en place dans les aéroports (empreintes digitales, photos des yeux) montrent bien que la photo est un document peu fiable…
Une discrimination sexiste ?
Lorsque nous leur avançons l’argument selon lequel le port du voile intégral représente une discrimination sexiste, leur réaction est tout aussi étonnante : elles rappellent à tous ceux qui considèrent le voile intégral comme un symbole de la domination masculine que notre société regorge de symboles de cette domination (pornographie, mode et chirurgie esthétique qui font du corps des femmes des objets de désir…) et que le sexisme doit se traiter « par la persuasion et l’exemple, et non par la privation de liberté ».
Et lorsqu’enfin nous déclinons l’argument auquel nous, féministes françaises, sommes le plus sensibles, à savoir que le voile intégral est une violence faite aux femmes, elles déclarent avec une naïveté déconcertante que chaque femme a ses propres raisons pour expliquer ce choix personnel, et qu’il ne faut pas discriminer des femmes en raison de leurs choix religieux, ni stigmatiser la religion musulmane.
Tout l’été, les féministes américaines ont multiplié les déclarations prônant le développement du niveau d’éducation et des possibilités professionnelles pour toutes les femmes comme seul et unique moyen de développer leur liberté de choix : l’éducation, et elle seule, doit aider chacun(e) à exercer son esprit critique et à préserver un idéal humaniste.
Vœu pieu contre mesure législative ?
Le débat avec les féministes américaines tourne court dès lors que nous n’avons pas la même définition de la laïcité, de la discrimination et de la liberté.
Danielle Michel-Chich ÉGALITÉ
1 Dans le rapport sur le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, la délégation droits des femmes du Sénat estime que « si le texte ne mentionne ni les femmes ni le voile intégral, il n’en est pas moins essentiellement inspiré par l’objectif de mettre fin à cette pratique profondément négatrice de la dignité de la femme et de son droit à l’égalité, profondément contraire à l’insertion harmonieuse des femmes concernées dans la société. »
Le rapport en ligne http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-698-notice.html