Articles récents \ France \ Sport Eva Cordioli : « le vélo a permis aux femmes de trouver leur indépendance, de vivre librement leur quotidien et leur temps »

En 1817, le premier véhicule à deux roues fut créé d’abord sous le nom de la Draisienne puis de Vélocipède, une invention coûteuse que seuls, les hommes pouvaient s’approprier. Les femmes attendront 1868 pour enfourcher des vélos avec un cadre bas compatible avec le port de leur longue robe qui commence à se raccourcir afin d’éviter que le tissu ne se prenne dans le cadre. La petite Reine connaît un succès fulgurant auprès de ces Dames qui peuvent se déplacer librement sans dépendre des hommes. Les habits s’adaptent, le Bloomer, sorte de culotte bouffante, est de rigueur pour les balades. Certains Messieurs voient d’un mauvais œil cette émancipation et estiment que pédaler n’est pas féminin, qu’elles peuvent endommager leur utérus et que leur réputation est en jeu. Ces remarques méprisantes et déplacées font écho au dialogue surréaliste entre la championne du monde, Jeannie Longo et le misogyne, Marc Madiot, dans les années 1980 lors d’un face à face. Des arguments encore utilisés de nos jours dans certains pays où l’apartheid de genre est toujours d’actualité.

Eva Cordioli a monté le collectif de Femmes à vélo où elle propose une collection de clichés de cyclistes prises dans des endroits communs ou inattendus.

Pourquoi avoir créé Femmes à vélo ?

Femmes à vélo  est née sous forme de projet photographique avec le but de magnifier le cyclisme féminin et de mettre en lumière les femmes cyclistes selon leur style, leur mode de vivre la ville de Paris à vélo. Une ville qui depuis quelques temps a changé son image, développé ses pistes cyclables, s’est complètement transformée pour donner la place au vélo. Chaque femme sur les photos possède un style, son élégance, son caractère, toujours à vélo.

Quel est votre rapport à la petite reine ?

Le vélo a toujours fait partie de ma vie, depuis que je suis enfant, mais c’est à Paris qu’il est devenu un allié, une passion, une partie de mon quotidien, le moteur d’un changement. J’aime la photo et la puissance des images : elles forment notre mémoire et elles vont rester gravées dans notre inconscient. L’année dernière, quand j’ai eu l’idée de Femmes à vélo, j’en ai parlé à Nicola Fioravanti, que je connais depuis longtemps et avec lequel j’avais déjà travaillé pour des projets photographiques dans le milieu du fashion. Il a su comprendre les idées abstraites dans mon imaginaire et les traduire en réalité avec son appareil caméra. Si actuellement Femmes à vélo est un projet photos avec presque une trentaine d’images, l’enthousiasme qu’il a suscité l’emmènera à devenir un vrai mouvement et je dirais un collectif de femmes cyclistes magnifiques.

 

Laurianne et son vélo Brompton. Paris, France. 2023

Pourquoi est-il important que les femmes s’approprient davantage ce mode de transport ?

Dans l’histoire, le vélo a permis aux femmes de trouver leur indépendance, de vivre librement leur quotidien et leur temps, sans devoir toujours confier la mobilité à quelqu’un d’autre. La bicyclette a permis aux femmes du XIXe siècle de s’approprier de nouveaux vêtements plus simples et plus adaptés à cette nouvelle façon de vie. Ce mode de transport a permis aux femmes comme Annie Londonderry (1) d’en faire le tour du monde.

J’aime bien l’idée de constater qu’après un certain temps, un moyen de transport est devenu le moteur d’une nouvelle mode. D’un point de vue esthétique, le vélo a un impact sur la mode d’aujourd’hui et sur la société. D’un point de vue de la mobilité, la vélorution (2) est de plus en plus présente et c’est important de voir des femmes en tant que leaders de ce changement.

Votre collection a été exposée dans différents lieux en France ? Comment a-t-elle été accueillie ?

La première exposition a eu lieu à la Mairie du 7e arrondissement au mois de février 2024 et voir presque 300 personnes arriver à vélo a été quelque chose d’inoubliable. Même les élu·es ont été impressionné·es et le message est passé fort et clair : il fallait absolument faire un projet pareil, il y avait un réel besoin. Après le 7e, l’exposition était présente au salon Vélo in Paris, elle a été projetée sous forme de court métrage à la soirée organisée par l’association Les roues de l’Avenir au Grand Rex de Paris et ensuite présentée pendant l’évènement Mont Ventoustes au pied du légendaire Mont Ventoux à l’occasion de talks au soutien du cyclisme féminin, organisé par le collectif, Les Rookies.

Après Nice, l’événement aura lieu à la Fondation Good Planet du prestigieux photographe Yann Arthus Bertrand et nous avons déjà reçu plusieurs demandes pour l’automne et d’ici la fin d’année. Plusieurs femmes se sont senties inspirées par ce projet et elles se sont remises en selle. L’enthousiasme et le bonheur ont un effet domino.

Ymane et son vélo Cinelli. Paris, France. 2023

Comment avez-vous choisi vos cyclistes ?

La diversité a été le moteur de ma recherche. Il y a tellement de femmes formidables avec leur style, leur attitude, leur force et leur histoire. Chacune d’elles avait un message à partager et leur bicyclette est le miroir d’elles-mêmes. Le vélo route, le fixie, le vélib, le gravel, le vélo d’occasion, le vélo électrique, etc. Le moteur de ma recherche a été de « magnifier la diversité du cyclisme dans le tissu urbain de Paris ».

Femmes à vélo sera exposée à la bibliothèque Léonard de Vinci, située dans un quartier prioritaire de la ville de Nice où peu de femmes pratiquent cette discipline. Espérez-vous déclencher des passions chez les jeunes et moins jeunes générations ?

Le vélo est le moyen de transport le plus démocratique au monde et le moins polluant. Pas besoin d’en acheter un à 10.000 € pour expérimenter une sensation de liberté et d’indépendance. N’oublions pas qu’à vélo, c’est à nous de décider quelle route emprunter pour notre trajet au quotidien. On peut se déplacer avec un vélo en libre-service ou en acheter une d’occasion. Le cyclisme est aussi une très belle école pour apprendre les valeurs du vivre ensemble. Dans les sorties en groupe on dit « on part ensemble et on revient ensemble ». C’est très important que les jeunes générations puissent apprendre les valeurs de la fraternité, la convivialité, la loyauté, le respect et l’aide mutuelle. Les valeurs positives forment des gens de valeur.

D’ailleurs, l’urgence actuelle est celle de l’environnement : comment peut-on faire pour vivre et respecter notre planète ? La bicyclette est la réponse la plus adaptée. Nous pouvons redessiner nos vacances, nos voyages, nos déplacements à vélo

Serez-vous présente avec votre photographe sur le tour de France féminin 2024 ?

On va le suivre bien sûr, comme d’ailleurs on va poser nos yeux sur le Giro d’Italia Women, du 7 au 14 juillet prochain. Je suis très admirative de l’excellent travail fait par Marion Rousse (3) dans l’organisation du Tour de France Femmes, de son engagement et de sa force dans la création d’un événement féminin avec un écho international. J’espère que le Giro d’Italia Women pourra s’inspirer et que l’organisation derrière cet événement (RCS Sport) ouvre son board à plus de femmes.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

1 Annie Londonderry (1870 -1947) : 1ère aventurière à avoir faire le tour du monde en bicyclette. Elle a souhaité prouver que les femmes étaient autant capables que les hommes de parcourir le monde à vélo.

2 La vélorution : anagramme de révolution commençant par vélo, est le nom d’un mouvement international qui cherche à encourager la population à se libérer de l’emprise des transports polluants dans les déplacements quotidiens

3 Marion Rousse est une coureuse cycliste, consultante de télévision française et journaliste. Elle a été championne de France sur route en 2012. Elle a participé à l’organisation de plusieurs tours.

print