Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Françoise Bey : "Nous voulons former dans chaque administration, chaque direction, une personne qui aura un regard genré sur les politiques publiques"
Les femmes sont des citoyennes, des actrices à part entière de la vie sociale et politique de notre pays, il faut le rappeler et l’encourager, c’est ce que les Archives Nationales ont décidé de faire en appelant : Aux Archives Citoyennes ! La table ronde « politiques publiques et luttes contre les discriminations de genre » a réuni des femmes élues locales et une représentante du Haut Conseil à l’Egalité f/h. Françoise Bey, adjointe au maire de Strasbourg en charge de la mise en œuvre de la politique municipale en faveur des droits des femmes et de l’égalité de genre a présenté les enjeux des politiques publiques de la ville de Strasbourg pour porter l’égalité.
Quand l’actuel maire de Strasbourg, Roland Ries, a composé sa première liste en 2008, il avait déjà dans l’optique de mettre en avant la question du genre dans les politiques publiques.
A la suite de son élection à la mairie de Strasbourg, il a nommé une conseillère déléguée spécifiquement sur la question du genre, une première dans notre ville. Cette nomination a aussi permis de traiter des aspects de l’égalité femmes/hommes dans l’administration : égalité professionnelle, accès à des formations et à des emplois plus rémunérateurs pour les femmes dans la fonction publique territoriale.
En 2010, un pas important a été fait avec la signature de la charte européenne pour les femmes et les hommes dans la vie locale. Suite à cette signature faite en grande pompe à Strasbourg, pour montrer l’importance de cette charte, un premier plan d’action a été élaboré pour pouvoir mener des actions concrètes sur le terrain et pouvoir les mesurer à la fin de ce premier mandat, voir, ainsi, si nous étions dans le vrai dans les directions de la ville sur le sujet. Ce premier plan a ciblé la direction des sports dont j’étais la déléguée. J’ai travaillé avec la conseillère déléguée au genre et un gros travail a été fait en interne pour pouvoir établir le rapport comparé de genre que normalement toute collectivité et grande administration doit produire et permettre aussi d’en débattre au niveau du conseil municipal. Ce rapport a montré les inégalités, chiffres à l’appui et permis de retravailler le sujet afin de progresser d’année en année, car il ne s’agit pas de produire un rapport sans suite, il faut aussi que les actions suivent.
De la féminisation des métiers à la prise en compte des femmes dans les décisions publiques
Nous travaillons en relation avec la direction des ressources humaines de notre administration d’une façon régulière. Les choses ont bougé, bien sûr pas assez vite. Néanmoins, aujourd’hui, presque la moitié des chef.fe.s de service sont des femmes, mais nous avons seulement une femme sur cinq au niveau des directions. Un gros travail a été fait dans le processus de recrutement pour éviter les questions genrées qui écartent les femmes.
Un gros travail a aussi été fait pour la féminisation des métiers dans la maison, en retirant les dénominations genrées des métiers comme femme de ménage ou technicien pour que femmes et hommes se reconnaissent dans leur métier. Une campagne de communication a aussi été menée à ce sujet au niveau de l’administration. Nous avons aussi féminisé les écrits administratifs, ainsi que la communication sur les affiches, malgré certaines réticences des communicants. Par exemple, je me suis battue pour que l’on change l’affiche sur La terre des champions, sur laquelle les championnes ne figuraient pas surtout que nous avions autant de championnes que de champions. Aujourd’hui Strasbourg a ses championnes et ses champions, ses étudiantes et ses étudiants. C’est important !
Irriguer la ville de la culture de l’égalité et donner la parole aux femmes
L’important avec les politiques publiques c’est de mettre en pratique vers l’extérieur ce que nous avions mis dans les plans d’action. Un des trois thèmes choisis a été d’irriguer la ville de la culture de l’égalité. Nous avons organisé des conférences ciblées vers des partenaires, des associations ou directement vers le public.
Nous avons aussi incité les femmes à aller dans les conseils citoyens et à y prendre la parole, ce sont des espaces d’ouverture et de dialogue importants. Nous travaillons également avec le conseil des résident.e.s étranger.e.s, on voit qu’ils ont repris ces thématiques. En mars, mois de l’égalité, cela a amené des actions avec les centres socio-culturels et des partenaires associatifs sur les quartiers afin de faire venir les femmes pour travailler et éduquer sur ces sujets.
A Strasbourg, dès 2010, la déléguée au genre a siégé à la commission de dénomination des rues induisant une réorientation des propositions de noms de rues. Moi qui assiste maintenant aux travaux de cette commission, j’ai remarqué un changement dans les propositions venant des associations. Par exemple, l’association, les amis du vieux Strasbourg, uniquement composés d’hommes, propose désormais systématiquement des noms de femmes remarquables qui ont fait partie de l’histoire de la ville. Il y en a beaucoup ! Sur notre Strasmap, vous pouvez désormais voir toutes les places et rues portant des noms de femmes.
La ville de demain doit être faite pour les femmes
Nous en sommes maintenant à notre deuxième plan d’action ; nous allons travailler plus avec le ministère de la culture, un axe sur lequel nous n’étions pas encore. Nous allons aussi travailler sur le développement de la ville et le développement durable. Je me souviens quand le conseil de la ville nous avait présenté sa vue de la ville durable, j’avais demandé : où sont les femmes ? Il fallait revoir le sujet. On voit bien avec les études d’Yves Raibaud (Une ville faite pour les garçons) que les espaces publics ne sont pas généralement conçus pour les femmes.
Sur un des quartiers de Strasbourg, nous avons demandé aux jeunes filles quels équipements sportifs d’extérieur elles voulaient. Ce sont elles qui ont décidé. Je mets une réserve car finalement, ce que nous leur proposons sont tout de même des équipements sportifs de garçons. Une prochaine étape serait de leur demander d’inventer des équipements qui correspondent à leurs envies.
On voit que ce n’est pas simple de faire bouger les choses, tous les élu.e.s n’ont pas encore complètement intégré cette thématique dans leur vision de la politique publique. C’est un travail de longue haleine qui a commencé en 2010. Une seule personne travaille sur la mission égalité femmes/hommes à la ville de Strasbourg. Elle est invitée aux commissions d’aménagement, pour des nouveaux projets et apporte un regard d’experte sur le sujet. Nous voulons former dans chaque administration, chaque direction, une personne qui aura ce regard genré sur les politiques publiques, comme c’est le cas en Belgique, pour toute future politique d’aménagement.
Sortir des stéréotypes
Nous constatons d’autre part que les stéréotypes éducationnels gardent trop souvent les femmes en charge des tâches ménagères. Une étude sociologique a d’ailleurs montré que sont plutôt les femmes qui vont s’investir dans la maison pour faire du zéro déchet. Cela n’a pas tellement évolué. Comment faire changer les comportements ?
Des discussions avec des associations féministes ont eu lieu, dont Osez le féminisme!, sur l’écologie et les femmes. Par exemple, les couches lavables ne sont-elles pas une régression pour la femme? Certaines décisions que l’on va prendre sur la vie des femmes peuvent impacter leur quotidien et les élu.e.s doivent en tenir compte. Cela m’a amené à réfléchir différemment sur certains volets de politiques publiques, afin de maintenir un équilibre femmes/hommes et afin que les femmes ne soient pas davantage sollicitées.
Au cours des semaines de l’égalité, nous incitons les jeunes à réfléchir sur de nombreuses questions qui sont liées les unes aux autres. Avec le service des sports, nous avons travaillé sur des questionnaires pour les jeunes participant aux activités physiques et sportives. Ils ont montré parfois leur incompréhension du sujet. Par l’éducation, on fait avancer les choses tout doucement. Les associations sportives ont ainsi pu travailler avec les jeunes pour pointer ce qui ne va pas et trouver ensemble des solutions contre la discrimination dans leur quartier.
Ce sont des questions à poser le plus tôt possible aux enfants, qui doivent être sensibilisés dès le plus jeune âge. Un travail de documentation liée au genre a été édité à destination des crèches, maternelles et écoles primaires pour sensibiliser sur le choix des livres pour plus d’égalité de genre.
Je pense que dès la crèche il faut travailler le sujet de l’égalité de genre. Nous avons certes pris beaucoup de retard même si le ministre de l’Education a même annoncé la désignation d’un référent sur l’égalité dans les collèges ce ne sera que l’année prochaine. On doit aussi avoir des professionnel.le.s formé.e.s pour porter ces changements. Nous avons là un gap important à combler.
A Strasbourg nous portons un intérêt particulier aux jouets utilisés dans les crèches, le jardins d’enfants et les maternelles municipales pour qu’ils soient équilibrés et que les enfants jouent avec tous les jouets.
Néanmoins, cette année au niveau de la région, du département aussi il y a eu beaucoup d’interventions sur la thématique de l’égalité et du respect de l’autre même si on doit faire encore mieux, je pense qu’au niveau éducatif, nous sommes sur une bonne dynamique.
Françoise Bey, adjointe au maire de Strasbourg en charge de la mise en œuvre de la politique municipale en faveur des droits des femmes et de l’égalité de genre.
50-50 magazine est partenaire de « Aux archives citoyennes! »
Photo: Françoise Bey à gauche en discussion avec Catherine Coutelle, ex-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée Nationale