Articles récents \ France \ Société COP 21: des féministes pour la justice climatique
Yveline Nicolas, coordinatrice d’Adéquations, est membre du groupe Genre et justice climatique. Ce groupe créé à l’occasion de la COP21 est composé d’associations féministes et de femmes, signataires d’un texte de position sur Femmes, genre et justice climatique. Il organise le 28 novembre «une journée féministe pour la justice climatique.» A 18 jours de la COP 21, un point de vue très insuffisamment relayé sur l’impact du changement climatique sur les femmes.
Pourquoi les femmes sont-elles particulièrement impactées par le changement climatique ?
Les femmes constituent les deux tiers des personnes en situation de pauvreté dans le monde. Or plus les personnes sont dans la précarité, plus elles sont vulnérables aux impacts négatifs des dérèglements climatiques : épisodes climatique extrêmes (inondations, sécheresses, cyclones…), désertification, baisse de rendement de céréales, diminution des espaces cultivables, baisse des ressources halieutiques, extension de maladies tropicales et du paludisme, conflits locaux, insécurité, augmentation du nombre de réfugié-es, etc.
Dans les pays les plus pauvres, qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre mais qui sont les plus touchés, les femmes sont en première ligne, en raison de leurs rôles socialement construits : elles ont la responsabilité du bois de chauffe, qui reste la source d’énergie la plus utilisée notamment en milieu rural, de l’eau, de l’alimentation, des soins aux personnes malades… Par ailleurs les femmes subissent des contraintes culturelles et en termes d’exercice de leurs droits, qui restreignent leur accès au foncier, au crédit, limitent leur mobilité. Il existe un lien direct entre le manque d’autonomisation des femmes, les discriminations et les atteintes à leurs droits et les impacts des dérèglements climatiques.
Il y a de nombreux exemples de surmortalité des femmes et des filles lors d’inondations, de tempêtes, dans des régions où elles sont confinées à l’intérieur des habitations ou ne disposent pas des mêmes moyens d’information et de transport que les hommes. Cela s’est vu même aux Etats-Unis lors de l’ouragan Katrina où beaucoup de victimes étaient des femmes monoparentales pauvres, noires.
En effet, quand on parle des impacts des dérèglements climatiques sur les femmes, on mentionne surtout les femmes pauvres du Sud. Mais, même si les inégalités sont moins criantes dans les pays du Nord, il y a quand même des différences liées au genre : les femmes constituent ainsi une bonne partie des personnes en situation de précarité énergétique, qui touche particulièrement les «ménages monoparentaux» (en fait des femmes) et les femmes âgées vivant seules en milieu rural.
Partout dans le monde, les impact du réchauffement climatique global se combinent avec les conséquences de la crise économique et des choix d’austérité qui sont faits pour y répondre, notamment le démantèlement de services publics et autres infrastructures de «care», ce qui inévitablement va accroître la charge de travail des femmes, leur double journée, et les inégalités entre femmes de différentes catégories sociales.
Elles sont aussi actrices des luttes pour la transition énergétique et écologique, pouvez-vous nous donner des exemples ?
Partout dans le monde des femmes sont très présentes dans des groupes ou des associations qui expérimentent depuis des années des modes de production, de consommation, des modes relationnels novateurs : agro-écologie, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), jardins partagés, économie sociale et solidaire, mouvements pour la santé environnementale, contre le nucléaire, etc.
Dans des pays du Sud, les connaissances spécifiques des femmes par exemple en matière de plantes locales résistantes à la sécheresse, de recyclage des déchets urbains, sont maintenant reconnues et de nombreux projets de développement s’appuient sur les compétences qu’elles ont acquises en prenant soin et en défendant l’accès aux ressources naturelles locales et aux biens communs.
Notons que les femmes émettent en moyenne moins de gaz à effet de serre que les hommes ! Ceci notamment en raison de leur choix alimentaires (elles mangent moins de viande, or la production de viande à une échelle industrielle est extrêmement polluante) mais aussi de leur mode de mobilité (elles font des trajets plus courts et utilisent plus les transports en commun). Les enquêtes montrent que de nombreuses femmes sont particulièrement sensibles aux questions environnementales, sanitaires, alimentaires.
Il faudrait encourager la recherche dans le domaine «genre et climat», notamment dans les pays du Nord, pour avoir plus de données et pouvoir travailler sur des indicateurs sexués.
Pensez-vous que la question du genre soit suffisamment prise en compte dans les discussions en cours et à venir ? La COP 21 qui se tiendra dans quelques jours à Paris a-t-elle prévue de traiter la problématique du changement climatique sous cet angle ?
Les questions de genre sont progressivement prises en compte dans les négociations climatiques, grâce à la mobilisation acharnée des organisations de femmes au niveau international. Le Women Gender Constituency, qui regroupe des ONG et réseaux de femmes et féministes, a pour objectif d’assurer que les politiques sur le changement climatique intègrent le genre.
La COP 18 avait décidé d’un suivi des progrès en matière de parité dans la représentation au sein des organismes de négociations et de décision et de prise en compte du genre dans les politiques climatiques. Le Cadre d’action de Hyogo (stratégie internationale pour la prévention des catastrophes), en cours de renégociation, indique que «la perspective de genre devrait être intégrée dans toutes les politiques de gestion des risques de catastrophe, et des plans et des processus de prise de décisions, y compris celles relatives à l’évaluation des risques, l’alerte rapide, la gestion de l’information, l’éducation et la formation.»
La COP 20 à Lima l’année dernière, a débouché sur le lancement d’un programme de travail sur le genre « Lima Work Programme on Gender». Quelle sera la place de l’égalité femmes-hommes dans l’accord de Paris ? Il est difficile d’anticiper car les négociations ont abouti à un texte très général intégrant toutes les contributions des Etats. L’égalité femmes-hommes y figure dans le préambule et dans d’autres sections. Mais jusqu’au dernier moment le texte est susceptible d’être amoindri notamment sous l’influence d’Etats conservateurs, comme les pays du golfe.
Quelles sont les principales préconisations des associations membres du groupe Genre et justice climatique ?
D’une manière générale, comme d’autres organisations de la société civile et comme l’Appel mondial des femmes pour la justice climatique, nous insistons sur la nécessité d’articuler l’enjeu du climat avec la question transversale du respect des droits humains et de la justice sociale – intégrant les droits des femmes, civils et politiques, économiques sociaux et culturels et les droits sexuels et de la procréation.
Les droits des femmes, l’égalité femmes-hommes et l’approche de genre devraient figurer de façon transversale (y compris quand il est question de finances et de technologies).
La diminution des émissions de gaz à effet de serre implique un changement des modes de production et de consommation et là il faut avoir une vigilance en matière de genre. Car la surconsommation de produits superflus est liée à un marketing genré favorisant le gaspillage (le même produit décliné pour femme et pour hommes).
Nous insistons sur le fait d’assurer la participation des femmes aux discussions climatiques, mais pas seulement de quelques grandes ONG internationales ayant les moyens mais aussi des groupes de femmes qui s’organisent sur le terrain (eau, assainissement, déchets, semences, agroforesterie, agriculture vivrière, énergie rurale etc.) ainsi que des femmes migrantes et des réfugiées.
La question se pose aussi en France : alors que les femmes sont considérées au niveau onusien comme un groupe d’acteurs de la société civile qui doit être représenté dans les discussions officielles, ici, le «dialogue environnemental» reste aveugle au genre et les associations de femmes y sont quasiment absentes.
Nous allons débattre de ces question lors de la journée féministe pour la justice climatique du 28 novembre (1).
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
1 Rencontre « Féministes pour la justice climatique », 28 novembre à Paris
Le groupe « Genre et justice climatique » organise à l’Hôtel de ville de Paris, une rencontre : « Féministes pour la justice climatique ». La journée est ouverte à tous et toutes : associations, grand public, hommes et femmes concernées par les enjeux climatiques et la transition écologique.
Parmi les thèmes abordés : l’état des négociations et des mobilisations ; droits des femmes et développement durable ; inégalités sociales et justice climatique ; genre et modes de production et de consommation ; agriculture et souveraineté alimentaire ; énergie, ressources naturelles… Les discussions feront émerger des pratiques et des recommandations au regard de l’égalité femmes-hommes dans la lutte contre les causes du dérèglement climatique et pour la justice sociale.
Auditorium Paris, 5 rue Lobau 75003. Inscription
50-50 Magazine est partenaire de cette journée
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• Le texte de position du groupe français Genre et justice climatique