Articles récents \ France \ Société Violences conjugales et sensibilisation des journalistes : de bons débuts à l’IEJ
Natacha Henry, journaliste et auteure de Frapper n’est pas aimer a tenu une conférence à l’Institut Européen de Journalisme à Paris. Face à trente élèves, elle a tenté de sensibiliser les esprits des futur-e-s journalistes sur les violences conjugales en France.
Journaliste féministe, Natacha Henry se penche depuis plusieurs années sur la question de l’égalité femmes/hommes. Elle est connue pour ses nombreux travaux sur le sexisme. Auteure du concept de «paternalisme lubrique», elle montre comment la domination s’installe discrètement. «Assieds-toi sur mes genoux» ou encore «Tu as ensoleillé ma journée avec ta petite robe…» Tant de femmes sont confrontées à ce genre de phrases qui semblent anodines…
Les élèves sont à l’écoute, oreilles grandes ouvertes. La journaliste expose le résultat de ses enquêtes de terrain dans les hôpitaux, les foyers d’hébergement et les postes de police. Elle en impose, et gagne déjà le cœur des jeunes femmes, dans la salle, certainement plus sensibles. Toutefois, elle écoute et ne contraint pas les quelques sceptiques. Rapidement, elle précise que le sujet n’est pas exclusivement féminin. Que les hommes cachent leur douleur par honte, ou par peur de perdre leur virilité aux yeux des autres. Cependant, elle met un point en avant: la prise en charge des enfants est davantage pour les mères, un paramètre qui accroît la complexité de leur problème.
Elle fait un petit tour des termes juridiques et relève une problématique occultée par la société : le viol conjugal. Les femmes qui, sous l’emprise de leur conjoint ou leur compagnon, estiment qu’elles doivent répondre aux désirs de leur mari.
Or, dans cette spirale misogyne elles oublient l’essentiel, à savoir, la loi: «Article 222-23 du code pénal : Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.»
« Une réelle responsabilité sociétale »
Les élèves énoncent quelques exemples ayant fait la Une des tabloïds : Bertrand Cantat, Oscar Pistorius… Ils prennent grand plaisir à participer et Natacha Henry met en garde les futur-e-s professionnel-le-s: «Le journalisme véhicule les opinions. Vous serez des agents de transformation sociale. Vous avez une réelle responsabilité sociétale.»
Elle reprend l’affaire Carlton et pointe les euphémismes dans certains propos de journalistes qui parlent à tort de «parties fines». Le débat est constructif. Les élèves portent de l’intérêt au sujet. Toutefois, quelques silences s’installent. Quelques gestes de reculs se dévoilent discrètement. Les informations se digèrent.
«N’oubliez pas la complexité de la réalité, la gravité des situations et respectez les protagonistes.»
Les chiffres déconcertent. Chaque année, 201 000 femmes âgées de 18 à 59 ans subissent des violences physiques et/ou sexuelles. L’estimation, rappelle la journaliste, est légère. Nombreuses sont les femmes qui ne portent pas plainte. Tout dépend des situations, mais bien souvent les enfants sont co-victimes: en 2013, 33 enfants ont été tués dans un contexte de violence conjugale.
«Fréquemment, les gens ne comprennent pas : pourquoi ces femmes restent-elles auprès de leur mari ?» Attentifs, les regards de l’assemblée brillent. «C’est un climat de peur et une tension permanente qui s’instaurent dans le foyer. Les menaces, les explosions de violences les pétrifient. Et puis, le coupable s’excuse, se met à genoux, déclare sa flamme. «Y’a que toi qui peut m’aider…» C’est le moment dit de la Lune de Miel.»
Certains compagnons refusent que leur conjointe exercent un métier. Ils veulent la garder pour eux, dans la maison. Sans ressources, elles n’ont pas le choix et surtout ne pensent pas avoir les forces nécessaires pour partir.
Le dialogue s’alimente. Les élèves masculins portent de l’intérêt au sujet, tout autant que les jeunes femmes de la classe. Les réactions sont positives, et les prises de position ne sont pas établies selon les genres. Le visage de Natacha Henry s’éclaire. Elle donne à son assistance un petit conseil pratique : «Si un ami/une amie vous raconte un jour que son conjoint/sa conjointe l’a frappé. Notez-le. Notez la date, les propos. S’il s’avère qu’il ou elle subit des violences conjugales, la police aura besoin de preuves. Et il est long et difficile de le prouver avec de simples paroles.»
En définitive, la présentation instaure un discours libéré auprès des élèves. Certains étudiants expriment une certaine indifférence, ne se sentent pas concernés. Mais cette sensibilisation est essentielle. Natacha Henry a remporté son défi: l’ensemble de la classe a compris que la violence conjugale n’est pas un fait isolé. Il reste pourtant encore beaucoup de travail à faire sur la formation des futur-e-s journalistes afin d’éviter que les médias ne soient des vecteurs de transmission du sexisme. (1)
Marie Faupin, étudiante en journalisme
Natacha Henry : Frapper n’est pas aimer, Denoël, 2010
1 : L’article 16bis de la loi du 4 août 2014, instaurait l’obligation d’un module de formation à l’égalité entre les femmes et les hommes dans les écoles de journalisme, ce qui a provoqué une levée de boucliers de la Conférence des écoles de journalisme. Cet article a été retiré de la loi.