Articles récents \ Monde Gago : de l'a-féminité à l'ultramasculinité dans une société hypernormée
50-50 a rencontré Gago, personne transgenre F(emelle) to M(ale) arménien, partageant son quotidien pendant plusieurs semaines, l’accompagnant dans tous les actes de Sa vie qui le confrontent à cette dé/conformité de genre.
L’Arménie est un pays marqué par un rappel normatif à l’ordre de genre présent dans tous les champs de la vie sociale : l’espace public (la rue, le quartier d’habitation, les transports publics), l’espace professionnel et familial. Alors que la plupart des pays européens tentent d’avancer en matière de législation des personnes transgenres et transsexuelles, en Arménie, elles restent encore condamnées juridiquement et socialement. Le changement d’état-civil leur est refusé et elles ne bénéficient d’aucune protection sociale ou médicale. Cette répression sociale traverse la vie de chaque personne hors du sillage conventionnel de ce que doit être un homme et une femme.
Gago, femme devenu homme, un cas à part en Arménie
Gago a 28 ans et vit à la périphérie d’Erevan, capitale de l’Arménie.
Le destin l’a fait naître femme, mais depuis son plus jeune âge, il s’est toujours pensé et senti homme. Il y a cinq ans, il a entamé sa transition de F(emale) to M(ale) pour, dit-il, «retrouver son corps.» Les hormones nécessaires ne sont pas autorisées à la vente en Arménie et il doit se les procurer illégalement. Pour Gago, l’aboutissement de sa démarche, sa « fin logique » ne peut être que le changement de sexe par la chirurgie, opération interdite dans son pays et qui ne peut donc se pratiquer qu’à l’étranger ou en secret, avec tous les dangers liés à une pratique clandestine.
Depuis quatre ans, Gago a une compagne, avec laquelle il rêve de pouvoir se marier et fonder une famille. Mais il ignore comment il pourra encore vivre dans son pays après son changement de sexe.
Des rôles masculins et féminins figés
Selon des études réalisées par des associations LGBT arméniennes, l’homophobie est presque aussi générale dans les grandes villes que dans les campagnes. Dans son immense majorité, la population considère encore les trans, et d’une manière générale les minorités sexuelles (gay et lesbiennes) comme des malades ou des monstres. Les rôles masculins et féminins restent strictement codifiés dans la société arménienne contemporaine : une femme doit obéir aux hommes de sa famille (père, frère, mari), elle n’est valorisée qu’en tant que mère. Quant aux hommes, ils doivent en toutes circonstances prouver leur «virilité».
Depuis son plus jeune âge, Gago s’est mêlé au monde masculin, en ne jouant qu’avec des petits garçons, et plus tard en adoptant les codes des «mauvais garçons» de son quartier, au point d’être considéré par les bandes comme un membre à part entière. Par sa «tchatche», qui compensait largement son défaut de force physique, il a fait rapidement oublier qu’il était en réalité une fille et a gravi les échelons à l’intérieur de sa bande.
Cette reconnaissance par les dominants de son quartier a eu des effets au sein même de sa famille de Gago: elle est passée de la honte d’avoir une fille qui refusait sa «nature» au respect pour le jeune homme estimé de tout le quartier.
Gago a commencé des études de théâtre à l’Institut national de théâtre et de cinéma d’Erevan (l’équivalent du Conservatoire national d’art dramatique en France). Comme partout ailleurs, les milieux artistiques sont plus ouverts sur ces questions et Gago y a été accepté sans aucun problème.
À l’époque de notre rencontre, Gago travaillait depuis plusieurs mois comme serveur dans un café-restaurant. Trouver un travail pour quelqu’un dont les papiers ne correspondent pas à son identité de genre est une mission quasi-impossible dans un pays comme l’Arménie. Mais, par chance, la patronne de ce restaurant a vécu de longues années à Los Angeles et n’a pas de préjugés contre les personnes LGBT. Bien évidemment, les client-e-s ne savent rien de l’histoire singulière du jeune homme.
On peut penser que Gago a eu de la chance de trouver à chaque étape de sa vie des personnes qui l’ont protégé et respecté. Sa forte personnalité y est pour beaucoup. Et aussi l’évidence, pour qui le rencontre, qu’il est heureux et a trouvé son équilibre.
Cependant sa situation reste précaire : en dehors de son quartier, il risque les insultes, les coups voire la mort. Il est bien conscient de la force des traditions dans un pays où toute personne qui sort des rôles conventionnels est confrontée à cette répression sociale.
Parce qu’il garde au cœur l’espoir d’être un jour accepté et compris de tout le monde, il a accepté de témoigner à visage découvert.
Anna Ghangiryan 50-50